TEXTE 1 : La vengeance comme excès et disproportion

 

(Hector propose un pacte à Achille) Je tuerai ou je serai tué. Mais attestons les Dieux, et qu'ils soient les fidèles témoins et les gardiens de nos pactes. Je ne t'outragerai point cruellement, si Zeus me donne la victoire et si je t'arrache l'âme ; mais, Achille, après t'avoir dépouillé de tes belles armes, je rendrai ton cadavre aux Achéens. Fais de même, et promets-le.

 

Et Achille aux pieds rapides, le regardant d'un œil sombre, lui répondit :

 

- Hector, le plus exécrable des hommes, ne me parle point de pactes. De même qu'il n'y a point d'alliances entre les lions et les hommes, et que les loups et les agneaux, loin de s'accorder, se haïssent toujours ; de même il m'est impossible de ne pas te haïr, et il n'y aura point de pactes entre nous avant qu'un des deux ne tombe, rassasiant de son sang le terrible guerrier Arès (…)

 

 Je te supplie par ton âme, par tes genoux, par tes parents, ne laisse pas les chiens me déchirer auprès des nefs Achéennes. Accepte l'or et l'airain que te donneront mon père et ma mère vénérable. Renvoie mon corps dans mes demeures, afin que les Troyens et les Troyennes me déposent avec honneur sur le bûcher.

 

 Et Achilles aux pieds rapides, le regardant d'un œil sombre, lui dit:

 

- Chien ! Ne me supplie ni par mes genoux, ni par mes parents. Plût aux Dieux que j'eusse la force de manger ta chair crue, pour le mal que tu m'as fait ! Rien ne sauvera ta tête des chiens, quand même on m'apporterait dix et vingt fois ton prix, et nulle autres présents ; quand même le Dardanide Priam voudrait te racheter ton poids d'or ! Jamais la mère vénérable qui t'a enfanté ne te pleurera couché sur un lit funèbre. Les chiens et les oiseaux te déchireront tout entier ! Homère Iliade, chant 22

 

 

 

TEXTE 2 :  La vengeance masque le désir de faire souffrir

 

« Grâce au châtiment infligé au débiteur, le créancier prend part au droit des maîtres : il finit enfin, lui aussi, par goûter le sentiment exaltant de pouvoir mépriser et maltraiter un être comme quelque chose qui est « au-dessous de lui » – ou, dans le cas où le vrai pouvoir exécutif et l’application de la peine ont déjà été délégués à l' »autorité », de voir du moins mépriser et maltraiter cet être. La compensation consiste donc en une invitation et un droit à la cruauté.
C’est dans cette sphère du droit des obligations que le monde des concepts moraux, « faute », « conscience », « devoir », « caractère sacré du devoir » a son foyer d’origine ; – à ses débuts, comme tout ce qui est grand sur la terre, il a été longuement et abondamment arrosé de sang. Et n’est-il pas permis d’ajouter que ce monde n’a jamais perdu tout à fait une certaine odeur de sang et de torture ? (pas même chez le vieux Kant : l’impératif catégorique sent la cruauté…)
C’est ici aussi que cet étrange enchaînement d’idées, aujourd’hui peut-être inséparable, l’enchaînement entre « la faute et la souffrance » a commencé par se former. Encore une fois : comment la souffrance peut-elle être une compensation pour des « dettes » ? Faire souffrir causait un plaisir infini, en compensation du dommage et de l’ennui du dommage, cela procurait aux parties lésées une contre-jouissance extraordinaire : faire souffrir ! – une véritable fête ! D’autant plus goûtée, je le répète, que le rang et la position sociale du créancier étaient en contraste plus frappant avec la position du débiteur. » NIETSCHE, La généalogie de la morale, p. 100, trad. H. Albert, Ed. Mercure de France, 1900

 

 

 

TEXTE 3 : L’idéal du juste c’est l’homme qui peut renoncer à la vengeance.

 

« Lorsqu'un homme prétend être non-violent, il ne doit point s'irriter contre qui l'a outragé. Il ne lui souhaitera aucun mal ; il lui souhaitera du bien ; il ne le maudira pas ; il ne lui causera aucune souffrance physique. Il acceptera tous les outrages que lui fera subir l'offenseur. La Non-Violence comprise ainsi devient l'innocence absolue. La Non-Violence absolue est une absence totale de mauvais-vouloir contre tout ce qui vit. Elle s'étend même aux êtres inférieurs à l'espèce humaine sans en excepter les insectes et les bêtes nuisibles. Elles n'ont pas été créées pour satisfaire à nos penchants destructeurs. Si la pensée intime du Créateur nous était connue, nous découvririons la place qui leur appartient dans sa création. La Non-Violence, sous sa forme active, consiste par conséquent en une bienveillance envers tout ce qui existe. C'est l'Amour pur. Je l'ai lu dans l'Ecriture sainte hindoue, dans la Bible, et dans le Coran.

 

La Non-Violence est un état parfait. C'est un but vers lequel tend, bien qu'à son insu, l'humanité tout entière. L'homme ne devient pas divin lorsque, dans sa personne, il incarne l'innocence ; c'est alors seulement qu'il devient véritablement homme. Tels que nous sommes actuellement, mi-hommes, mi- bêtes, nous avons la prétention, dans notre arrogante ignorance, de remplir le rôle dévolu à notre espèce, lorsque nous rendons coup pour coup et que nous nous abandonnons à la colère. Nous feignons de croire que la loi du talion est la loi de notre être, alors que dans toute Ecriture Sainte nous voyons que la loi du talion n'est nulle part obligatoire, mais seulement tolérée. L'empire sur soi est seul obligatoire. La vengeance est une satisfaction qui nécessite des règles compliquées. La maîtrise de soi est la loi de notre être. La plus haute perfection demande la plus haute maîtrise. La souffrance devient ainsi le symbole de l'espèce humaine.

 

Le but s'éloigne sans cesse de nous. Plus nos progrès sont grands, plus nous prenons conscience de notre indignité. La satisfaction se trouve dans l'effort accompli, non dans le but atteint. Dans l'effort absolu se trouve la victoire absolue.

 

Aussi, et tout en me rendant compte plus que jamais de la distance du but, pour moi la loi d'Amour est la loi de mon être. Chaque fois que j'échouerai, et justement à cause de cet échec, mon effort n'en sera que plus résolu. » Gandhi, La jeune inde, 1924

 

 

 

TEXTE 4 : L’héritage économique comme principal source d’inégalité

 

"Abolition de l'héritage. - Tant que ce droit existera la différence héréditaire des classes, des positions, des fortunes, l'inégalité sociale en un mot et le privilège subsisteront sinon en droit, du moins en fait. Mais l'inégalité de fait, par une loi inhérente à la société, produit toujours l'inégalité des droits : l'inégalité sociale devient nécessairement inégalité politique. Et sans égalité politique, avons-nous dit, point de liberté dans le sens universel, humain, vraiment démocratique de ce mot ; la société restera toujours divisée en deux parts inégales, dont l'une immense, comprenant toute la masse populaire, sera opprimée et exploitée par l'autre. Donc le droit de succession est contraire au triomphe de la liberté, et si la société veut devenir libre, elle doit l'abolir.

 

 Elle doit l'abolir parce que, reposant sur une fiction, ce droit est contraire au principe même de la liberté. Tous les droits individuels, politiques et sociaux, sont attachés à l'individu réel et vivant. Une fois mort il n'y a plus ni volonté fictive d'un individu qui n'est plus et qui, au nom de la mort, opprime les vivants. Si l'individu mort tient à l'exécution de sa volonté, qu'il vienne l'exécuter lui-même s'il le peut, mais il n'a pas le droit d'exiger que la société mettre toute sa puissance et son droit au service de sa non-existence.

  Le but légitime et sérieux du droit de succession a été toujours d'assurer aux générations à venir les moyens de se développer et de devenir des hommes. Par conséquent, seul le fonds d'éducation et d'instruction publique aura le droit d'hériter avec l'obligation de pourvoir également à l'entretien, à l'éducation et à l'instruction de tous les enfants depuis leur naissance jusqu'à l'âge de la majorité et de leur émancipation complète. De cette manière tous les parents seront également rassurés sur le sort de leurs enfants, et comme l'égalité de tous est une condition fondamentale de la moralité de chacun, et que tout privilège est une source d'immoralité, tous les parents sont l'amour pour leurs enfants est raisonnable et aspire non à leur vanité mais à leur humaine dignité, s'ils avaient même la possibilité de leur laisser un héritage qui les placerait dans une position privilégiée, préférant pour eux le régime de la plus complète égalité." Bakounine, Catéchisme révolutionnaire, 1865 

 

 Texte 5 Justification possible du vol par nécessité.

"En effet rien de ce qui est de droit humain ne saurait déroger à ce qui est de droit naturel ou de droit divin. Or selon l'ordre naturel institué par la divine providence, les réalités inférieures sont subordonnées à l'homme, afin qu'il les utilise pour subvenir à ses besoins. Il en résulte que le partage des biens et leur appropriation selon le droit humain ne suppriment pas la nécessité pour les hommes d'user de ces biens en vue des besoins de tous. Dès lors, les biens que certains possèdent en surabondance sont destinés, par le droit naturel, à secourir les pauvres. C'est pourquoi saint Ambroise écrit : «Le pain que tu gardes appartient à ceux qui ont faim, les vêtements que tu caches appartiennent à ceux qui sont nus et l'argent que tu enfouis est le rachat et la délivrance des malheureux. » Or le nombre de ceux qui sont dans le besoin est si grand qu'on ne peut pas les secourir tous avec les mêmes ressources, mais chacun a la libre disposition de ses biens pour secourir les malheureux. Et, même en cas de nécessité évidente et urgente, où il faut manifestement prendre ce qui est sous la main pour subvenir à un besoin vital, par exemple quand on se trouve en danger et qu'on ne peut pas faire autrement, il est légitime d'utiliser le bien d'autrui pour subvenir à ses propres besoins; on peut le prendre, ouvertement ou en cachette, sans pour autant commettre réellement un vol ou un larcin."  Thomas D’Aquin, Somme Théologique II, 2

 

 

 

TEXTE 6 : La fiction théorique d’un voile d’ignorance pour déterminer la juste répartition sociale

 

"Je soutiendrai que les personnes placées dans la situation initiale  choisiraient deux principes assez différents. Le premier exige l'égalité d'attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que les inégalités socio-économiques, prenons par exemple des inégalités de richesse et d'autorité, sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun, et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. Ces principes excluent la justification d'institutions par l'argument selon lequel les épreuves endurées par certains peuvent être contrebalancées par un plus grand bien, au total. Il peut être opportun, dans certains cas, que certains possèdent moins afin que d'autres prospèrent, mais ceci n'est pas juste. Par contre, il n'y a pas d'injustice dans le fait qu'un petit nombre obtienne des avantages supérieurs à la moyenne, à condition que soit améliorée la situation des moins favorisés.

  L'idée intuitive est la suivante : puisque le bien dépend d'un système de coopération sans lequel nul ne saurait avoir une existence satisfaisante, la répartition des avantages doit être telle qu'elle puisse entraîner la coopération volontaire de chaque participant, y compris des moins favorisés. Les deux principes que j'ai mentionnés plus haut constituent, semble-t-il, une base équitable sur laquelle les mieux lotis ou les plus chanceux dans leur position sociale - conditions qui ne sont ni l'une ni l'autre dues, nous l'avons déjà dit, au mérite - pourraient espérer obtenir la coopération volontaire des autres participants ; ceci dans le cas où le bien-être de tous est conditionné par l'application d'un système de coopération. C'est à ces principes que nous sommes conduits dès que nous décidons de rechercher une conception de la justice qui empêche d'utiliser les hasards des dons naturels et les contingences sociales comme des atouts dans la poursuite des avantages politiques et sociaux."   John Rawls, Théorie de la justice, 1971, p.40-41

 

 

 

TEXTE 7 : L’Egalité des personnes comme fondement du droit

 

Qu’est-ce que le droit ? C’est l’égalité. Dès qu’un contrat enferme quelque inégalité, vous soupçonnez aussitôt que ce contrat viole le droit...Le droit règne là où le petit enfant qui tient son sou dans sa main et regarde avidement les objets étalés, se trouve l’égal de la plus rusée ménagère. On voit bien ici comment l’état de droit s’opposera au libre jeu de la force. Si nous laissons agir les puissances, l’enfant sera certainement trompé; même si on ne lui prend pas son sou par force brutale, on lui fera croire sans peine qu’il doit échanger un vieux sou contre un centime neuf. C’est contre l’inégalité que le droit a été inventé. Et les lois justes sont celle qui s’ingénient à faire que les hommes, les femmes, enfants, les malades, les ignorants soient tous égaux. Ceux qui disent, contre le droit, que l’inégalité est dans la nature des choses, disent donc des pauvretés » ALAIN

 

 

 

TEXTE 8 : La loi juste comme l’organisation des libertés

 

"On a beau vouloir confondre l'indépendance et la liberté. Ces deux choses sont si différentes que même elles s'excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu'il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d'autres, et cela ne s'appelle pas un État libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui, elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d'autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre, et régner c'est obéir (...) Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n'a droit d'opposer de la résistance ; dans la liberté commune nul n'a droit de faire ce que la liberté d'un autre lui interdit, et la vraie liberté n'est jamais destructive d'elle-même. Ainsi la liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car comme qu'on s'y prenne tout gêne dans l'exécution d'une volonté désordonnée.

  Il n'y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu'un est au-dessus des lois : dans l'état même de nature l'homme n'est libre qu'à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n'obéit qu'aux lois et c'est par la force des lois qu'il n'obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu'on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l'enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres non les arbitres, ils doivent les garder non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain." Rousseau, Lettres écrites de la montagne, Huitième lettre, (1764)

 

 

 

 

 

TEXTE 9 : La difficulté de la lutte pour la justice par la violence

 

KALIAYEV, criant.
D'autres ... Oui ! Mais moi, j'aime ceux qui vivent aujourd'hui sur la même terre que moi, et c'est eux que je salue. C'est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. Et pour une cité lointaine, dont je ne suis pas sûr, je n'irai pas frapper le visage de mes frères. Je n'irai pas ajouter à l'injustice vivante pour une justice morte. (Plus bas, mais fermement.) Frères, je veux vous parler franchement et vous dire au moins ceci que pourrait dire le plus simple de nos paysans : tuer des enfants est contraire à l'honneur. Et, si un jour, moi vivant, la révolution devait se séparer de l'honneur, je m'en détournerais. Si vous le décidez, j'irai tout à l'heure à la sortie du théâtre, mais je me jetterai sous les chevaux.
STEPAN
L'honneur est un luxe réservé à ceux qui ont des calèches.
KALIAYEV
Non. Il est la dernière richesse du pauvre. Tu le sais bien et tu sais aussi qu'il y a un honneur dans la révolution. C'est celui pour lequel nous acceptons de mourir. C'est celui qui t'a dressé un jour sous le fouet, Stepan, et qui te fait parler encore aujourd'hui.
STEPAN,
dans un cri.
Tais-toi. Je te défends de parler de cela.
KALIAYEV,
emporté.
Pourquoi me tairais-je ? Je t'ai laissé dire que je ne croyais pas à la révolution. C'était me dire que j'étais capable de tuer le grand-duc pour rien, que j'étais un assassin. Je te l'ai laissé dire et je ne t'ai pas frappé.
ANNENKOV
Yanek !
STEPAN
C'est tuer pour rien, parfois, que de ne pas tuer assez.
ANNENKOV
Stepan, personne ici n'est de ton avis. La décision est prise.
STEPAN
Je m'incline donc. Mais je répéterai que la terreur ne convient pas aux délicats. Nous sommes des meurtriers et nous avons choisi de l'être.
KALIAYEV,
hors de lui.
Non. J'ai choisi de mourir pour que le meurtre ne triomphe pas. J'ai choisi d'être innocent.
Albert CAMUS, Les Justes , acte II (1949).

 

 

 

 

 

TEXTE 10 : Le juste et l’équitable

 

« L'équitable, disait aussi Aristote, c'est le juste, pris indépendamment de la loi écrite. » A l'homme équitable, la légalité importe moins que l'égalité, ou du moins il sait corriger les rigueurs et les abstractions de celle-là par les exigences autrement plus souples et complexes (puisqu'il s'agit, répétons-le, d'égalité entre individus qui sont tous différents) de celle-ci. Cela peut l'amener fort loin, et aux dépens même de ses intérêts : « Celui qui a tendance à choisir et à accomplir les actions équitables et ne s'en tient pas rigoureusement à ses droits dans le sens du pire, mais qui a tendance à prendre moins que son dû, bien qu'il ait la loi de son côté, celui-là est un homme équitable, et cette disposition est l'équité, qui est une forme spéciale de justice et non pas une disposition entièrement distincte. » Disons que c'est justice appliquée, justice vivante, justice concrète - justice véritable.

    Elle ne va pas sans miséricorde (« l'équité, disait Aristote, c'est de pardonner au genre humain »), non qu'on renonce toujours à punir, mais en ceci qu'il faut, pour que le jugement soit équitable, avoir surmonté la haine et la colère.

    L'équité ne va pas non plus sans intelligence, ni sans prudence, ni sans courage, ni sans fidélité, ni sans générosité, ni sans tolérance... C'est où elle rejoint la justice, non plus comme vertu particulière, telle que nous l'avons ici considérée, mais comme vertu générale et complète, celle qui contient ou suppose toutes les autres, celle dont Aristote disait si joliment qu'on la considère « comme la plus parfaite des vertus, et (que) ni l'étoile du soir, ni l'étoile du matin ne sont ainsi admirables ».

    Qu'est-ce qu'un juste ? C'est quelqu'un qui met sa force au service du droit, et des droits, et qui, décrétant en lui l'égalité de tout homme avec tout autre, malgré les inégalités de fait ou de talents, qui sont innombrables, instaure un ordre qui n'existe pas mais sans lequel aucun ordre jamais ne saurait nous satisfaire. Le monde résiste, et l'homme. Il faut donc leur résister - et résister d'abord à l'injustice que chacun porte en soi, qui est soi. C'est pourquoi le combat pour la justice n'aura pas de fin. Ce Royaume-là au moins nous est interdit, ou plutôt nous n'y sommes déjà qu'autant que nous nous efforçons d'y atteindre : heureux les affamés de justice, qui ne seront jamais rassasiés !

 André COMTE-SPONVILLE, Petit traité des grandes vertus (1995).

 

 

 

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