LA MORT

 

 

 

 

 

I/ LA MORT S'ANNONCE

 

A) difficulté de concevoir la mort.

- L'esprit ne peut se représenter sa propre destruction, si j'essaie de me représenter ma mort je me représenterai mon enterrement, mes parents en larmes je me verrais donc toujours comme spectateur, donc comme un sujet vivant. ? « Quand je méditerais tous les jours sur une tombe, je n’arriverais jamais à penser que je ne pense plus » Alain, Propos d’un Normand.

- Ni consciemment ni inconsciemment l'homme ne peut se représenter sa propre mort.

Comment est-ce que je sais que je vais mourir

 

 

B Ce qui m'annonce ma propre mort.

- La mort de l'autre: la mort est un spectacle auquel je suis chaque jour confronté: je sais que l'on meurt: «  Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaînes et tous condamné à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres (...) C'est l'image de la condition des hommes. » Pascal Pensées 199 cf. la grotte de Polyphème

- Cependant Il n'est pas assez de voir les autres mourir: a la troisième personne la mort est envisagée "impersonnellement et conceptuellement "

- Par exemple comme un médecin envisage une maladie et diagnostique une mort imminente. Le je dans cette affaire est un être anonyme.

=> La troisième personne est la marque de la sérénité. Le constat de la mort n'est pas une prise de conscience de la mort

Mais si le médecin est lui même le malade alors la mort en première personne est source d'angoisse. Mais justement cette tragique subjectivité me pousse à l'urgence et m'empêche de penser la mort. - Possibilité d’une perspective de sa propre mort sans prise de conscience de la mort: Ce qu'il y a de terrifiant dans le fait de mourir ce n'est pas la perspective de sa propre mort: Elle peut rentrer dans le cadre d'une auto valorisation tragique : Tel amant éconduit peut très bien rêver de son enterrement avec un requiem dramatique, les larmes et les regrets de celle qui ne le prenait pas au sérieux, cf. Werther. La mort en tant qu'acte d'un vivant a même un certain prestige chez les adolescents et les orgueilleux, qui confondent la perspective d'être une dernière fois mis en scène de façon radicale et la conscience de la mort. Aussi peuvent-ils être surpris lorsqu'on leur affirme cette expérience est rare et terrible.

- La situation qui vraiment révèle la mort est la mort du proche le tragique de la disparition m'apparaît sans l'angoisse qui rend trop urgent la mort sur soi. La mort du proche est peut-être le seul lieu d'où l'on peut contempler sa propre mort.  « L’intérêt biologique de l'espèce nous a décidément quitté, la sollicitude qui nous protégeait du néant s'est déplacée en nous laissant en tête à tête avec la mort ». Jankélévitch: La mort p.23. La mort a donc un aspect tragique elle est l'effrayant =>

 

II/ LES REACTIONS, FUITE ET ACCEPTATION

 

A) fuite de la mort en elle même

- suppression de sa réalité intellectuelle : " la mort n'est rien pour nous " Epicure : " lettre à Ménécée elle n'est rien parce que la mort n'est jamais la rencontre d'un sujet et d'une expérience: si l l'expérience est là le sujet n'est plus, si le sujet est, l'expérience n'est pas encore.

- Suppression de la réalité du sujet «  Oui on meurt mais chaque fois ce n'est justement pas moi; le " on " n'est personne.

« Le fait de mourir est ainsi ramené au niveau d'un événement qui concerne bien la réalité humaine mais qui ne touche personne en général. » Heidegger: L'Etre et le temps in «  Qu'est-ce que la métaphysique »

Ce que fait le on c'est qu'il transforme en crainte ce qui est angoisse: la crainte se réfère à l'extérieur et l'angoisse à moi même. Le on transforme en un simple événement extérieur ce qui est ma possibilité propre

 

B/ Tentatives de fuite de sa radicalité

- La religion: L'homme dés qu'il est doté d'intelligence est capable de généraliser une observation: si tout meurt autour de lui il se rendra compte que lui aussi doit mourir => déprime, => idée d'une continuation de la vie après la mort. «  La religion est une réaction défensive de la nature contre la représentation, par l'intelligence, de l'inévitabilité de la mort. »Bergson: les deux sources de la morale et de la religion.

- Son inscription dans une naturalité, la dotation d'un sens à la mort: ex: la mort permet un renouvellement des générations, elle réalise un équilibre, elle est " dans l'ordre des choses " Autant de façons d'éviter le pensée de la mort.

La mort apparaît comme existante dés que disparaissent ses réductions à des "lois de la nature". « En tant que naturelle la mort est universellement acceptée; en tant que factuelle, universellement déniée. » Rosset l'anti-nature p.85

- Ce qui est ordinaire en tant qu'idée devient extraordinaire en tant que fait.

Devoir sa mort au factuel (hasard) et non au naturel (nécessité) double d'une humiliation la tristesse du renoncement forcé à la vie.

 

C) son acceptation

La parole Platonicienne  "philosopher c'est apprendre à mourir" Phédon 66b signifie que le philosophe est déjà en relation avec un monde idéal, un autre monde.

Chez Montaigne cette même citation a un tout autre sens dans les Essais I, 20, il veut dire qu'il s'agit de bien vivre en sachant que nous mourrons, d'apprivoiser notre fin. "Je veux que la mort me trouve plantant mes choux mais nonchalant d'elle et plus encore de mon jardin imparfait" Essais I, 19

 

 

Le fait que l'homme tente de différentes manières de fuir la mort nous renseigne sur sa réalité première:

 

III CE QU'EST LA MORT

 

- LA forme de la vie

- La marque de ma contingence.

 

A/ la possibilité la plus authentique de l'homme

On ne peut saisir dans la réalité quotidienne ce qu'est la réalité humaine: Nous sommes toujours en avant de nous-mêmes par le souci l'anticipation, la frivolité, l'existence inauthentique, ce que Pascal nomme le divertissement est oubli de la mort, mais en même temps oubli de soi, fuite en avant. « Combien de gens ont dilapidé ta vie sans que tu t’aperçoives de ce que tu perdais, tout ce que t’ont soustrait vaines douleurs, sottes allégresses, avide cupidité, flatteries du bavardage, et vois combien il te reste peu de ce qui t’a appartenu : tu comprendras que tu meurs avant d’avoir attient la maturité » Sénèque (1er siècle après JC) De la brièveté de la vie III

Par la compréhension authentique de la mort la réalité humaine n'est plus parcellaire, elle se présente dans sa totalité.

L'existence authentique elle, admet résolument la mort dans sa réalité, non plus comme un simple événement réductible mais comme la pos possibilité de l'impossibilité de l'être-là: telle est la vraie mort, celle qui permet de dire que seul l'homme meurt alors que l'animal périt.

Ainsi «  La mort est la possibilité la plus spécifique au devant de laquelle l'existence puisse aller. » Heidegger:  Sein und Zeit 1 p.236

La mort apparaîtrait donc comme ma possibilité propre.

 

B/ la marque de ma contingence.

Cependant la mort ne vient pas de moi, «  je ne saurais ni l'attendre ni prendre une attitude envers elle, car elle est ce qui désarme toutes les attentes » Sartre: L'être et le néant p. 630. La mort n'est donc qu'un simple donné, un aspect de la facticité, elle m'est toujours donnée de l'extérieur elle n'est pas une structure ontologique de mon être. La mort est un non sens absolu, toute tentative pour la considérer comme signifiante serait à ramener non du coté de l'authenticité mais comme vu plus haut du côté de la fuite.

- Objection le suicide : la mort peut venir non de l'extérieur mais de moi. Là la mort pourrait être le signe de mon absolue liberté.

Cependant le suicide c'est toujours se projeter vers une mort imaginaire, préparer les conditions etc. Rien ne dit que la réalité de la mort ne réalisera cette projection imaginaire  Cf. les démons" de Dostoïevski Kirilov dit «  se tuer c'est refuser d'inventer Dieu »  mais Kirilov meurt mal: l'illusion de la maîtrise fait place à la réalité de l'absurde, de l'impossibilité dans la mort de rester fidèle à soi.

Ex. de celui qui attend son exécution, qui se prépare à mourir dignement et qui meurt d'une grippe Espagnole.

- La mort serait donc la marque de ma contingence d'une absurdité et non d'un sens «  la fin est sanglante quelque belle que soit la comédie en tout le reste: On jette de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais » Pascal pensées 210

Ce qui me permet de donner un sens c’est ma vie, lorsque je meurs je suis «  une proie pour les vivants »

TRANSITION Si la mort est une expérience que l'on ne peut anticiper, si elle est une limite dépourvue de sens en elle même. Si on ne peut fonder une connaissance sur la pensée de la mort l'idée de la mort ne peut-elle fonder une conduite ?

 

IV /CE QUE M APPORTE LA MORT

 

Une délivrance uniquement pour le malade : Critique de Nietzsche à Socrate qui demandait un coq pour Esculape au moment de sa mort: la mort n’est une guérison que pour celui qui est incapable d’assumer la vie.

Il reste que certaines personnes demandent à mourir pour abréger leurs souffrances, c’est la capsule de cyanure du résistant qui se sait condamné à la torture ou à une mort atroce (cf. Malraux, la condition humaine), c’est aussi la demande de certains malades dont le sort est analogue.

 

A) La gravité de la vie.

La Dimension du risque qui fonde mon premier accès à l'humanité : Avec Hegel, la première prise de conscience de l'homme en tant qu'homme se fait par le dépassement de l'animalité, et donc du sentiment le plus ancré dans l'animal: L'instinct de conservation. C'est par la figure du guerrier, qui est capable de nier son attachement à la vie, que l'homme commence une prise de conscience et un progrès qui pourra se parfaire dans le travailleur.

- La mort même si elle m'est toujours imposée du dehors est tout de même ce qui radicalise mes choix, et confère une plus grande dimension à ma liberté: «  Etre libre c'est courir le risque de voir ses entreprises échouer et la mort briser le projet » Sartre Cahier pour une morale

- Le choix d’un mortel est toujours définitif : on ne peut par exemple choisir plusieurs fois la jeunesse que l’on veut vivre.

 

 

B) La conscience et la grandeur

 

La mesure de l’existence.

- Seule la pensée de la mort permet de considérer l’importance ou la frivolité des actes, de ne pas perdre son temps en mauvaises pensées : « Toi, pourtant, qui n'es pas de demain, tu ajournes la joie ; la vie périt par le délai, et chacun de nous meurt affairé". (Epicure, sentence vaticane, 14). ­

- Cette pensée permet aussi à l’humain d’envisager le temps qu’il peut consacrer à certaines tâches : le fou fait construire un palais qui demandera plus de temps à être construit qu’il ne lui reste de temps à vivre : « à l'homme animé de sérieux, la pensée de la mort donne l'exacte vitesse à observer dans la vie, et elle lui indique le but où diriger sa course. » Kierkegaard, Sur une tombe.

C’est aussi ce qui pousse l’homme à se poser des questions sur son existence et lui-même, la pensée de la mort a la même valeur que l’ennui. Elle pousse alors à une méditation véritable : «  sans cela [le divertissement] nous serions dans l’ennui, et cet ennui nous pousserait à chercher un moyen d’en sortir. Mais le divertissement nous amuse, et nous fait arriver insensiblement à la mort » Pascal 171

 

La grandeur de l’homme

Son courage tout d’abord

- C'est en ce sens que la mort consacre, parce que le risque est une consécration et que sans la mort on ne risque littéralement rien. C'est cette consécration que, selon Péguy le monde antique Grec refuse à ses dieux: ils manquent de cet accomplissement qu'est la mort " ils manquent d'un emplissement du seul accomplissement, de la seule plénitude. Ils ont un destin qui ne s'emplit pas " Charles Péguy " Clio " Seuls les hommes risquent leur vie, les dieux ne risquent rien.

 

- Sa quête ensuite :

Arendt critique la vie contemplative « Ce qui importe, c'est que l'expérience de l'éternel, par opposition à celle de l'immortalité, ne correspond et ne peut donner lieu à aucune activité. ». H. Arendt La condition de l’homme moderne. Elle parle de la vie active, qui serait centrée sur ce que Du Bellay appelait «  un honnête désir de l’immortalité », c'est-à-dire la préoccupation d’habiter un monde où les réalités surviveraient, à l’homme : « Le devoir des mortels, et leur grandeur possible, résident dans leur capacité de produire de choses - œuvres, exploits et paroles - qui mériteraient d'appartenir et, au moins jusqu'à un certain point, appartiennent à la durée sans fin. » Ibid.

Il y a bien donc une grandeur de l’activité humaine qui s’inscrit dans la tragédie de sa mortalité, et qui le poussent à réaliser des œuvres qui lui survivent. Le divertissement risque de faire oublier cette quête, d’où l’effort de la pensée pour « sauver de l'oubli la quête d'immortalité qui avait été à l'origine le ressort essentiel de la vita activa. » ibid.

 

 

- Sa dignité enfin

« Toute notre dignité consiste dans la pensée » Pascal 347 c'est-à-dire dans le fait qu’il est capable de témoigner du monde et de lui-même, donc de saisir sa condition.

D’ailleurs c’est cela qui fait que l’homme serait plus noble, même que l’univers qui le tuerait «  car il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien » Pascal 347

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