LE TEMPS

I/ UNE MESURE VARIABLE

A/ En fonction de l'affectivité.

Selon l'intensité, contraction ou dilatation pos. du temps. La chronopsychologie distingue 3 lois de perception du temps:
La première loi constate des variations en fonction du morcellement du temps: Plus une activité est morcelée, plus elle paraît durer longtemps: Une activité répétitive et sans motivation ( comme le travail à la chaîne) paraît durer beaucoup plus longtemps qu'un travail créatif. La deuxième montre que plus une activité est intéressante, plus elle paraît brève: Le temps de la distraction semble plus court que le temps de travail ennuyeux: L'intérêt pour une tâche ou une action lui donne une unité qui fait que la temporalité se contracte.
La troisième loi montre que le temps avant une épreuve ou une satisfaction paraît toujours plus long. L'attente est une dilatation psychologique du temps.

B/ Rapport du temps Physiologie

Subj. Changement de rapport au temps avec l'âge ; Le temps s'écoule plus vite ; déclin de capacité de fixation de la mémoire.
Obj. Guerre de 14 18 Mesure de la vitesse de cicatrisation d'une plaie en fonction de sa grandeur. et de l'age Observation: l'activité réparatrice des tissus est 5 fois plus grande à 10 ans qu'à 60 ans
=>1 cicatrise guérira en 10j chez un enfant de 10 ans en 3.5 mois chez un homme de 60 ans En 1 heure un enfant de 10 ans vit Psycho ce que vit un homme de 60 ans en 5 heures.
"Au cours de soixante minutes du temps de nos horloges, un enfant a vécu, physiologiquement et psychologiquement autant qu'un homme de soixante ans en cinq heures." Lecomte du Noüy,Entre croire et savoir, Hermann, p.298.
Cependant exprime décalage par rapport au temps objectif. Ces considérations expriment la relativité du temps; ne permettent pas définir ce qu'est le temps

 



II/ LA NATURE DU TEMPS

Intro : Difficulté à cerner le temps
On ne peut se placer en dehors du temps: "On ne peut pas vraiment parler du temps puisqu'on met du temps à parler et même à penser " Le temps est à la fois dedans et dehors, donc il n'est pas objet." Jankélévitch " Entretiens ".
On sait que le temps existe mais on ne peut articuler cette question: "Qu'est-ce que le temps, si personne ne me le demande je le sais, Si je veux l'expliquer à quelqu'un qui me le demande , je l'ignore." St Augustin, Confessions.XI 14

A/ Les confusions  

-          Entre le temps et le devenir

Distinction à effectuer entre le cours du temps et ce qui se passe dans le temps, entre le temps et le devenir.
Nécessité de cette distinction : il existe des réalités qui ont un âge, dont on peut mesurer la durée entre leur naissance et leur présent, mais dont la destruction est indépendante de leur âge : les atomes irradiés qui peuvent être détruits un dixième de seconde ou un siècle après leur naissance de façon totalement aléatoire.
La distinction apparaît facilement avec l’attention :   "Le temps passe, le temps passe, Madame... Las! Le temps, non; c'est nous qui passons."Ronsard
Problème : Le temps a-t-il une réalité en dehors de l’homme qui le perçoit, de ce qui la mesure : « La question est embarrassante de savoir si, sans l’âme, le temps existerait ou non » Aristote, physique IV, 12, 220b »

- La physique ne peut plus considérer le temps comme un absolu, elle a pu considérer les variations de sa mesure en fonction de la vitesse et de la masse,"celui qui vit enplaine a moins vieilli que celui qui vit en montagne" Carlo Rovelli, l'ordre du temps (la différence est minime mais une horloge atomique peut la mesurer) de même "pour tout ce qui bouge le temps passe plus lentement". De la sorte il est absurde de se demander "quel heure est -il dans l'univers ? " Il n'y a pas un temps, mais plusieurs. 

-          Entre le temps et ses représentations

Les représentations les plus classiques sont des spatialisations du temps
«  Le temps ne se montre que nié » Marcel Conche, Temps et Destin. En effet pour saisir le temps il faudrait penser ensemble ce qu’il sépare (le passé et l’avenir) et maintenir ce qu’il supprime (le présent) penser le temps, c’est alors le méconnaître. Lorsque nous découpons le temps en moments, nous nous le représentons abstraitement par une ligne, c'est à dire que nous le comprenons à partir de ce qui n'est pas lui : l'espace

C’est ce que montre l’exemple de l’horloge avec Bergson, et les aiguilles, leur position respectives n’ont de sens "que pour un spectateur conscient qui se remémore le passé » Bergson, les données immédiates de la conscience.

si on veut chercher ce qu'est la durée véritable il ne faut pas tenter de rapporter le temps à ce qu'il n'est pas et le chercher dans une succession pure, qui se vit dans la musique par exemple. 



B/ Idéalisme transcendantal:

L’homme peut connaître les lois du temps de façon complètement a priori, indépendamment de toute expérience : ce n’est pas l’expérience par exemple qui me permet de dire qu’un même objet ne peut être en deux endroits en même temps.
Kant en conclut que le temps n’est qu’une forme a priori de la sensibilité, une condition subjective de la représentation des objets.
Sartre aura une conclusion analogue : «
le temps est un pur néant en soi, qui ne peut sembler avoir un être que par l’acte dans lequel le Pour-soi le franchit pour l’utiliser » Sartre L’être et le Néant, II, chap.3 §4.
Cependant comme le dit Desanti dans son introduction à la phénoménologie  : “ l’Ego ne peut tirer son origine du temps et être au même moment l’origine du temps.” ou comme le dit Comte Sponville : si le temps ne vient au monde que par nous, comment aurions-nous pu y advenir.

On peut reprocher à la conception idéaliste de Kant son absolutisme : « le temps n’est pas inhérent aux objets eux-mêmes, mais simplement au sujet qui les intuitionne » Kant, “ Le simplement est de trop.” répond Comte Sponvillle. Autrement dit, ce n’est pas parce que l’homme a en lui les lois a priori concernant le temps que le temps réel est inexistant.


C) le présent et l'éternité
La seule réalité, si l’on excepte la conscience humaine qui se souvient, prévoit, espère, regrette, c’est le présent qui toujours continue, qui est, comme le dit Aristote en Physique IV, assure « la continuité du temps »
Saint Augustin dans les confession XI, dit que le présent n’est rien, parce qu’il ne dure pas, mais l’expérience humaine consiste dans le fait justement d’être parfois contemporain du temps.



III L’HOMME ET LA TEMPORALITE

Il ne s’agit plus de considérer ce qu’est le temps mais la façon dont l’homme le vit et se le représente.

 

A)     Les représentations culturelles

Existence de peuples où temps ne représente pas un fleuve mais le constant retour du même : Sociétés non historiques rythmées par des cérémonies de régénérescence et une participation à l'être qui évite la destruction; la désagrégation par le temps.
Dans ces sociétés, rien n'est jamais irrémédiablement perdu car tout est référé à une éternité signifiante. cf. le constat que fait Eliade sur la façon dont les sociétés tribales considèrent leur action «  n'importe qu'elle action humaine acquiert son efficacité dans la mesure où elle répète exactement une action accomplie au commencement des temps par un Dieu, un ancêtre ou un héros." Mircéa Eliade: Le mythe de l'éternel retour.
Au contraire dans la représentation occidentale chaque moment est irrémédiablement perdu, la ligne ne se parcourt que dans un sens.

B)      Le ressentiment


1/ Inauthenticité et divertissement

"Le temps est en soi plutôt cause de destruction puisqu'il est nombre du mouvement et que le mouvement défait ce qui est" Aristote:." Physique " " IV.
Pascal: Constat de départ: Le seul temps qui appartient à l'homme est le présent. Cependant l'homme ne s'attache pas au présent; le considère au travers d'un avenir par l'anticipation ou au travers du passé par le regret (= cause de l'effet)
Conclusion normale: l'homme devrait s'attacher au temps qui lui appartient
Raison de l'effet: Le présent nous blesse car il pose sur chaque chose le constat de l'éphémère: " nous le cachons à notre vue parce qu'il nous afflige; et s'il nous est agréable nous regrettons   le voir échapper" Pascal: ." Pensées " 172.: La prise de conscience de la condition humaine est douloureuse l' homme est fluent entre une durée perso. finie et un temps fini => Mort "le dernier acte est sanglant quelque belle que soit la comédie en tout le reste" ibid.210

2/ authenticité :
Référence à une éternité qui ne serait pas celle du présent, à une éternité qui serait une alternative au temps  "L'Eternité diffère du temps parce qu'elle est toute à la fois, tandis que le temps est succession , et non pas en ce que l'éternité serait un temps sans commencement ni fin." St Thomas
u comme le dit Montaigne : "Qu'est-ce donc qui est véritablement? Ce qui est éternel, c'est à dire qui n'a jamais eu de naissance, ni aura jamais de fin." Montaigne,Essais, II, 12.
- Opposition de la fragilité ontologique du monde sensible à un autre monde. " l'essence que nous définissons par l'être véritable est-elle :toujours la même et de la même façon , ou tantôt d'une façon, tantôt de l'autre ?" Platon: " Phédon " 65 c.
- En conséquence le temps n'appartient pas au monde réel "Le temps est l'image mobile de l'éternité".  Timée  
Prise en considération de la condition humaine. Chez Pascal l'absurdité de la condition humaine la crainte que provoque sa fragilité apporte la nécessité d'un Dieu seule alternative à bla misère de cette condition.
Obj:
- Le recours Platonicien à l'éternité est une nécessité pour une connaissance rationnelle des choses (on ne peut définir réellement que ce qui est toujours semblable à soi)
- Le recours Pascalien à l'éternité est une tentative de solution à un problème Existentiel
=> Autre solution possible:
L'acceptation du tragique ou de l'absence de sens du monde


C/ le tragique

Possibilité d'envisager une prise en compte authentique de la temporalité sans que la détresse ou le ressentiment en soit la conséquence:

Ce que nie le tragique, ce n'est pas le caractère destructeur du temps, ou la fragilité du bonheur, il nie que cette fragilité soit une objection au caractère heureux du bonheur:  " peu importe que le bonheur soit fragile si sa fragilité est impensable"  Rosset " l'anti-nature " p.88

Le tragique affirme l'indépendance de la joie d'être au monde à l'égard de la perte du monde dans le temps: " l'amour du réel est indépendant de la mort du réel " ibid

En somme le tragique assume authentiquement le temps et l'absence de sens qui en résulte mais n'en tire pas comme conséquence l'impossibilité de vivre, et de vivre heureux: Antiphrase de Pascal pensée 218: " Qu'importe que le dernier acte soit sanglant si la comédie est belle en tout le reste." ou comme le dit Montaigne à mesure que la possession du vivre est plus courte, il me la faut rendre plus profonde et plus pleine." Montaigne, Essais, III, 13.

Le recours Pascalien à l'éternité est symptôme de tous les recours a l'éternité A l'origine se retrouve un ressentiment contre le temps qui détruit et le passé mort ." Ceci, oui, seul ceci est la vengeance elle même: le ressentiment de la volonté contre le temps et son "il y avait"." Nietzsche Z.II ." De la délivrance.".

Opposé a l'attitude tragique: acceptation du temporel par la pensée la plus haute celle de l'éternel retour.

Considérer le temps comme orienté et comme devant être soutenu par un monde stable est l'expression d'une vie affaiblie

L'eternel retour est la pensée la plus haute elle permet l'éternité de l'instant par retour éternel des dispositions qui jamais ne s'épuisent. C'est surtout un principe discriminant qui permet de déterminer la qualité de la volonté, une volonté délivrée du ressentiment à l'égard du temps: Vouloir que toujours revienne ce que nous vivons permet d'assumer même le caractère tragique de la déréliction.


V. SOLIDARITE DE L’ETRE ET DU TEMPS.

Cette autre acception du temps va permettre de nier l'opposition métaphysique entre l'être et le temps.

La métaphysique oppose l'être et le présent: L'être est ce qui est c'est l'étant véritable, ce qui n'est pas soumis au changement, l'idée, ce que les choses ont de toujours semblables indépendamment du temps.

La métaphysique Platonicienne, considère que l'être des choses c'est ce que la chose est véritablement, sa définition, valable non pas dans le temps mais dans l'eternité.

Cependant, l'être de la chose ce n'est pas ce que la chose est ( sa définition), mais le fait que la chose soit, le fait d'être. Et cet être se manifeste dans la présence, autrement dit dans cette détermination temporelle irréductible à une définition qu'est le manifestation de la chose dans le présent.

On peut donc considérer que, loin de se consacrer à l'être, la métaphysique qui nie le temps est un oubli de l'être.

On ne peut plus opposer le temps et l'être car à chaque dimension du temps une présence est procurée. (Cf. la présence de ce qui est ne se réduit pas à l'ensemble de ses déterminations)