LE POUVOIR

 

 

 

Distinction entre le pouvoir de et le pouvoir sur 

 

Le pouvoir de (= capacité de faire, archétype artisanal) Mais justement, est paradoxalement inversement proportionnel au travail nécessaire.

 Plus on a de pouvoir, moins de travail il faut:  Cf. la magie comme fantasme du pouvoir et résultat sans travail

   Relativité du  « pouvoir de » Limité par la résistance des choses: Le fantasme de pouvoir absolu reste un fantasme

  Le pouvoir sur   Le champs du pouvoir est celui des volontés  

                 Peuvent s'unir à moi, (ne sont pas étrangères à ma volonté comme les choses )

                 Peuvent davantage s'opposer à moi ( seule résistance de la chose est l'inertie)

 C'est la le sens propre et fort du mot pouvoir: se multiplie par la volonté et l'action d'autrui 

 Le problème du pouvoir est alors double :

Technique : Comment obtenir et conserver le pouvoir

Politico-juridique : Qu’est-ce qui légitimerait, si cela était possible, le pouvoir qu’aurait certains hommes sur certains autres.

 

 

I L’ACQUISITION

 

 

A) La force

 

Référence au modèle animal : Dans une meute il y a loup dominant et loup dominé, le pouvoir humain serait un analogue du pouvoir animal, et s’obtiendrait par la force.  

 

(cf. Calliclès) Ceux qui méritent le pouvoir sont ceux qui sont capables de l’obtenir (référence à l’animal, insuffisant) " Mais je vois que la nature elle-même proclame qu'il est juste que le meilleur ait plus que le pire et le puissant plus que le faible". Platon Gorgias 

 

L’éthologie peut apprendre pas mal de choses sur les rapports humains, mais on ne peut réduire les uns aux autres.  D'abord parce que les rapports animaux ne sont pas hiérarchique intra spécifiquement. Ensuite parce que, même lorsque c'est le cas il ne s'agit pas d'un véritable pouvoir. 

 

Rousseau montre bien, dans le Discours sur l'origine de l'inégalité que, même si un rapport de forces brutales peut exister dans la nature, d'abord c'est la société qui le porte à son comble, ensuite aucun asservissement durable ne peut exister naturellement cf: " Je fais deux pas dans la nature, je disparais et il ne me revoit de sa vie »

 

Cependant, l’origine du pouvoir politique semble bien être la force : tout pouvoir n’est que la légitimation d’un rapport de forces : a justice est sujette à dispute, pas la force, c’est donc elle qui s’est imposée « ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste » Pascal Br. 298

 

 

 

B) La peur

 

Distinction : La peur comme moyen d’obtenir le pouvoir : Marquer les esprits par sa cruauté ou par le déploiement de sa force, gouvernement par la terreur. Opposition Rousseauiste : Il y aura dans la tranquillité de l’état « plus d’apparence que de réalité »CS, I, 3 résumé Spinoza : « La paix n’est pas une absence de guerre ».

 

La peur comme origine du pouvoir. Argument Hobbesien.

 

Si les hommes se soumettent tous à un pouvoir, c’est qu’ils ont chacun peur les uns des autres «  sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect les hommes sont dans cet état qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun. » Kant remarque aussi dans la IVème proposition d'une Idée d'une histoire universelle que c'est la "détresse", naissance des tendances asociales de chacun, qui pousse les hommes à se donner des règles de vie communes. .

 

Objection Le pouvoir né de la peur n'est qu'un pouvoir mort non un pouvoir vivant ce qui se voit dans les tyrannies où la vie semble se glacer.

 

Surtout, si la peur peut briser les oppositions, elle ne peut en aucun cas associer les autres volontés à la mienne: Comment par exemple faire en sorte qu'un homme donne sa vie pour moi si sa seule obéissance vient de la crainte de la mort ?

 

    

C Le désir

 

1) Nécessité du désir pour le pouvoir

 Le vrai pouvoir s'appuie sur le désir de l'autre. On peut penser qu'à l'origine de l'humanité se serait développée une demande dirigée vers certains hommes jugés providentiels. Cf. l’amour des bonapartistes pour Napoléon

Il y a en tout cas dans le pouvoir un fort investissement affectif sans lequel le vrai pouvoir est impossible. Cf. tous les meetings, les ovations, serrements de main, manifestation d’amour, confusion entre le pouvoir et les « stars », ridicule que montre Pascal

 

2) Inversement investissement affectif dans le pouvoir

L’amour du pouvoir = génitif objectif ou subjectif Cf. Adoration des personnes célèbres qui ne sont aimées parce que d'autres les aiment Cf. processus accumulatif qui fait désirer la célébrité parce qu'elle est investie du désir de l'autre

 Retour narcissique sur l’homme de pouvoir qui reçoit cet « amour » et aime en retour cf. les déclarations politiques qui ressemblent à des déclarations sentimentales. C’est à la fois (cf. Pascal) ridicule et tyrannique « la tyrannie consiste au désir de domination universel et hors de son ordre » Br.244. Passage ordre de la force à celui de l’amour. « Ainsi ces discours sont faux, et tyranniques : je suis beau, donc on doit me craindre, je suis fort donc on doit m'aimer » Laf. 58

 Le pouvoir confisque l’amour à ses propres fins. C'est paradoxalement cet amour qui, ce que la peur serait impuissante à faire seule, génère des monstres politiques.

 Un homme libre justement refuse cette confusion, et « n’aime » pas le politique : « Un peuple est libre, quelque forme qu'ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l'homme, mais l'organe de la loi. » " Rousseau Lettres écrites de la montagne Partie II lettre VII

  Cependant, le réel problème du pouvoir n’est pas comment l’obtenir, mais comment le garder : « Le plus fort ne l’est jamais assez pour être toujours le maître » Rousseau contrat social I, 3

 

 

II LE MAINTIEN DU POUVOIR

 

  

Usage des ressorts employés pour son acquisition +

 

 

 

 A) L’imagination

 

   Intervention aussi du désir donc de l’imagination Le pouvoir s'habille sans cesse d'imagination => une autre démystification. Cf. Pascal «  Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante »  Pensées Br. 82 

           Importance du costume  Pour fasciner, toucher l'imagination il faut au pouvoir un costume. Cette imagination c'est souvent le costume lui-même: c'est " l'hermine " du juge ou le "bonnet carré " du médecin qui connaît Hippocrate au temps de Pascal, avec blouse blanche dans nos publicités, le " képi" etc.

 Importance inversement proportionnelle à la force du pouvoir Exemple : « le chancelier et grave et vêtu d’ornements car son poste est faux » ibid. Br. 307 Pouvoir réel du médecin => abandon du costume. « Si les médecins avaient le vrai pouvoir de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés » ibid. Br. 82

 Pascal nomme ces pouvoir justement des " pouvoirs d'imagination " c'est à dire des pouvoirs qui ne tirent leur être de pouvoir que de ce qu'ils se font passer pour des pouvoirs

 Vanité de ces pouvoirs : En dessous de leur forme ostentatoire il n'y a qu'un vide intérieur que Pascal nomme la "vanité". 

 Donc Nécessité d’un recours du pouvoir à l'imagination  Par là le pouvoir peut dépasser la faiblesse paradoxale mais irrémédiable du pur rapport direct et frontal de force. => Tout pouvoir repose sur un dosage variable de contrainte : Part de force et de croyance, part de désir, d'imagination

   Cependant dans un forme moderne le pouvoir a également à opérer une gestion politique  Il doit articuler les forces diverses, sociales, économiques, régionale, d'opinion, qui constituent son champ, sans quoi il ne dure pas, englouti par ces forces qu'il n'a pas su maîtriser

 

B) L’habileté

  

Pascal nomme habile celui qui a compris la vérité du politique, qui sait que le pouvoir n’est que conventionnel, mais qui respecte ces conventions parce qu’elles maintiennent l’ordre « Le peuple honore les personnes de grande naissance. Les demi-habiles les méprisent, disant que la naissance n'est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple, mais par la pensée de derrière." Pascal. Pensées 337

   Mais c’est Machiavel qui le premier donne les conseils d’habileté au prince.

                   La lucidité, Ne pas confondre ce qui est avec ce qui devrait être : « Il m’a semblé plus approprié de considérer la vérité effective de la chose plutôt que l’idée qu’on s’en faisait » Le prince XV. Considérer entre autres les hommes tels qu’ils sont et s’adapter à eux : « l’homme qui veut faire preuve de bonté se ruine inéluctablement au milieu d’hommes qui n’ont aucune bonté. » 

                 La duplicité : il faut savoir être à la fois renard et lion, c’est-à-dire employer la force et la ruse

                   La dissimulation : Il faut cacher sa vraie nature « ce qui est absolument nécessaire, c’est de savoir bien déguiser cette nature de renard » Même chose chez Pascal « Il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes » Br. 326

               Le mensonge : « un seigneur prudent ne doit pas tenir sa parole lorsque la promesse qu’il a faite tourne à son désavantage »

                   L’absence de scrupule « il faut que, tant qu’il le peut, il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal » Le prince XVIII « A  la fin, le prince se trouvera avoir été plus humain en faisant un petit nombre d'exemples nécessaires » En effet il prend l’exemple de César Borgia qui, par sa cruauté a su réunir la Romagne à ses états.  Par exemple Machiavel relate au chapitre VI que lorsque Borgia voulut occuper la Romagne il nomma un homme réputé pour ses mesures expéditives Remy d’Orque. Une fois que ce gouverneur avait mis l’ordre par la force, il le fit exécuter en place publique, ce qui laissa le peuple « stupide et content ». La Boétie va montrer que cette habileté va constituer une véritable structure politique

  

C.     La structure (La Boétie)

 

Maintien du pouvoir par un réseau de dépendance du sommet à la base de la pyramide

 Abêtissement du peuple par le divertissement « Panem et circensens » Juvénal : « Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres telles drogueries (194), c'étaient aux peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté, les outils de la tyrannie. » La Boétie » Traité de la servitude volontaire

            En dessous du tyran apparaît alors une multitude de petits tyranneaux qui dépendent les uns les autres et de la tyrannie.  « Cinq ou six ont eu l’oreille du tyran, ces six ont six cent qui en profitent sous eux, ces six cent tiennent sous eux six mille » La Boétie Traité de la servitude volontaire

           C’est surtout de la corruption que se sert le pouvoir, il s’arrange ainsi pour asservir au sens propre (mécanique). : On se sert de « leur avidité ou de leur cruauté » pour être les complices du tyran.

 Ce qui permet : D’asservir d’avantage ceux qui ont commis tant de crimes parce qu’ainsi la protection du tyran leur est indispensable, et de détourner  la haine du peuple opprimé sur le subalterne

 Derrière l'apparente facilité du pouvoir il y a toute une machinerie de rapports de dépendance, d'intérêts, et de positions qui détruisent tous les autres rapports humains (considérés comme naïfs)

 Mystification de la structure pour cacher son mécanisme Nécessité de masquer cette structure pour qu’elle soit efficace Ex Les égyptiens qui pensaient qu'on ne pouvait croiser le regard de Pharaon sans périr parce qu'ils ne comprenaient pas la structure hiérarchisée des ministres des prêtres et des scribes

 Dans ce cas le pouvoir devient objet de croyance et se fortifie de tout le pouvoir immense de l'homme à croire et qui l'enchaîne par ses idées plus sûrement que tout le pouvoir qu'on pourrait avoir sur lui. « Les tyrans mêmes trouvaient bien étrange que les hommes pussent endurer un homme leur faisant mal ; ils voulaient fort se mettre la religion devant pour

 Le pouvoir domination peut donc se caractériser par une mise en place d'une structure complexe d'intérêts, et par la mystification de cette structure, qui fait croire en une supériorité naturelle du pouvoir. => Recours du pouvoir à la force de l’imagination

 

   

 

D.  L’idéologie (Arendt) et le totalitarisme

 

Pour l’analyse du système totalitaire par H. Arendt, bon résumé sur le site suivant : http://philo5.com/Les%20philosophes%20Textes/Arendt_Totalitarisme.htm#_ftn2

 Le pouvoir totalitaire a pour seul but une domination totale c’est la forme la plus pure du pouvoir, il n’est pas cherché pour autre chose. L’organisation est sa forme,  il surprend par son indifférence à tout ce qui présente d’ordinaire un intérêt, il implique la transformation de l’humain pour le constituer en seul rouage efficace, courroie de transmission du pouvoir total, et orchestre sa machinerie par l’idéologie.

   - Un nouveau type d’organisation

 

  "Le pouvoir, tel que le conçoit le totalitarisme, réside exclusivement dans la force produite par l'organisation" : Hannah Arendt Le système totalitaire
La police secrète est le rouage essentiel, elle remplace le pouvoir militaire dans l’idéal.    « Finalement, il érige des camps de concentration, laboratoires spécialement conçus pour poursuivre l'expérience de domination totale." Staline voyait la vraie richesse de l'URSS dans "les cadres du parti" et Hitler s'est suicidé lorsqu'il a appris la défection de cadres SS.

 

  - Un pouvoir imprévisible
C'est cette nouveauté qui rend ce type de pouvoir imprévisible, et difficilement
compréhensible : l’âpreté expliquait les conquêtes territoriales, les hiérarchies, l’exploitation économique des hommes, leur endoctrinement religieux. L’intérêt pouvait se comprendre, il devient mystérieux : le pouvoir totalitaire est souvent économiquement contre-productif.  
"Sa négligence délibérée des intérêts matériels, son affranchissement à l'égard du mobile du profit, ses comportements non utilitaires en général, " Par exemple on sait que Hitler privilégiait parfois les trains de déportés sur le transport militaire, Staline a délibérément ruiné l'Ukraine
  - La transformation de l’homme
"Le pas décisif suivant dans la préparation de cadavres vivants est le meurtre en l'homme de la personne morale. On y procède en rendant d'une manière générale, et pour la première fois dans l'histoire, le martyre impossible " : les Romains mettaient en scène leur cruauté, l'Inquisition communiquait sur ses tortures et ses meurtres, pas la SS.  "Chagrin et souvenir sont interdits. En Union soviétique, une femme devra entamer une procédure de divorce immédiatement après l'arrestation de son mari afin de protéger la vie de ses enfants "
Il est dans la nature même des régimes totalitaires de revendiquer un pouvoir illimité. Un tel pouvoir ne peut être assuré que si tous les hommes littéralement, sans exception aucune, sont dominés de façon sûre dans chaque aspect de leur vie.
Dans le régime totalitaire géré par l'idéologie, c'est l'homme qui disparait « Le totalitarisme ne tend pas à soumettre les hommes à des règles despotiques, mais à un système dans lequel les hommes sont superflus. »  Arendt Le système totalitaire  Le pouvoir total ne peut être achevé et préservé que dans un monde de réflexes conditionnés, de marionnettes ne présentant pas la moindre trace de spontanéité.
Les idéologies admettent toujours le postulat qu'une seule idée suffit à tout expliquer dans le développement à partir de la prémisse.
A ce titre le premier pouvoir totalitaire c'est la religion, et tout pouvoir totalitaire s’appuye sur une compréhension à partir d’une seul idée :  le péché, la race, l’histoire.

 - La fonction de l'idéologie:      Transformer le fait en valeur, L'oppression en libération, L'injustice en droit

 C'est donc un travail d'inversion systématique du réel qui donne alors si l'idéologie s'impose, une allure surréaliste au monde. Illustration par le Novlang ou bien par le titre du journal de propagande PRAVDA

    Donc Le fonctionnement du pouvoir est réglé par la valse permanente de la force, du désir, de l'intérêt, de l'imagination, finalement orchestrée par l'idéologie.

   Tel est le pouvoir tel qu’un regard extérieur peut le constater.

   

 

III LA LEGITIMATION

   

A) Problème de la question en elle-même  

 

Pascal: La légitimité n'est-il pas un faux problème ?

 Le fait que le pouvoir fonctionne et met un frein aux passions collectives suffit à le légitimer : «  le plus grand des maux est la guerre civile » Pascal

 Tout pouvoir est bon du moment qu'il s'impose, le droit n'est pas le fondement du pouvoir c'est au contraire le pouvoir qui est au fondement du seul droit que l'on puisse exiger : la paix civile: " Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble et que la paix fût, qui est le souverain bien." Pensées 81- 299. Cf. La justification de la force comme manifestation de la justice divine. Pas du tout Pascalien, Bossuetien.  C’est pour cela que Pascal insiste sur la coutume comme véritable origine du pouvoir TEXTE 4

 Mais cette rédaction du droit au fait n'est autorisée que parce qu'elle a pour corollaire un mouvement absolument contraire, Pascal ne s’intéresse pas à la justice humaine parce que pour lui il existe un autre horizon au désir de justice, Dieu, on n’a pas à chercher ici la justice, elle existe là haut et c’est là qu’il faut la chercher

 Ce postulat d'une impossible justice ici-bas est donc un argument religieux plus que politique, et la question de la légitimité reste irréductible sur le plan moral.

  

B) L’Exigence de légitimité.

 

  La légitimité est le doute sur la légalité qui l'évalue selon une référence idéale et éventuellement l'invalide. Le problème du droit du droit va donc être de se trouver un sol: En fonction de quoi décider que tel système de loi est légitime en gardant en mémoire que tout pouvoir produit un discours sur sa propre légitimité.

  

1) Dieu

   Dieu comme fondement de la légitimité: Nuit complètement au problème comme on l'a vu: Ou on nie la possible justice en ce monde ou on fonde sur ce pouvoir intangible un autre pouvoir indiscutable qui renvoie la question de la légitimité à un problème métaphysique: Bossuet dit que le pouvoir du Roi est de droit divin, le problème est plus évacué qu'il n'est résolu. " Les princes sont des dieux, suivant le langage de l'Écriture, et participent en quelque façon à l'indépendance divine. " Bossuet politique tirée des propres évangiles de l'Ecriture Sainte.

 

2.      La nature

 Offre l'avantage d'être plus visible en apparence.  Mais la nature elle-même, d'après moi, nous prouve qu'en bonne justice celui qui vaut plus doit l'emporter sur celui qui vaut moins » le Gorgias (483a) (cf. La Nature )

 Cependant toutes les références à la nature sont métaphoriques: Le loup mange certes l’agneau mais les différences entre hommes ne sont justement pas visibles et même si c'était le cas l'homme n'est pas un être naturel il est susceptible par sa pensée et son intelligence, par le langage également de remettre en cause les rapports de puissance naturels Cf. les limites de l’inégalité dans le discours Rousseau.

 La nature est donc plus un instrument idéologique du pouvoir qu'un fondement possible

   

 

3.      La famille

 Entraîne rapports hiérarchiques avec fondement naturel à la fois visible et indiscutable.

 Cependant l'inégalité de pouvoir est destinée à être dépassé et sa révocation conduit à d'autre rapports que des rapports de pouvoirs (mais pas d'autorité au sens strict ) « Les enfants exempts de l'obéissance qu'ils devaient au père, le père exempts des soins qu'il devait aux enfants, rentrent tous également dans l'indépendance » « s'ils continuent de rester unis ce n'est plus naturellement, c'est volontairement ». Rousseau Du contrat social Livre I Ch. II TEXTE 9

 Les rapports dans une famille ont alors pour principe l'amour.

 Cela est légitime dans la sphère qui lui est propre mais tout à fait illusoire et idéologique lorsqu'il s'agit du pouvoir: Il est évident que les rapports de l'homme au pouvoir à ses sujets n'a rien à voir avec l'intimité biologique du père avec ses enfants. Il s'agirait alors pour le politique d'une captation de la piété filiale à des fins infantilisante, ou à celles consistant à entamer le processus menant au pouvoir totalitaire. Cf. Pascal, le tyran est celui qui mélange les ordres, " La tyrannie consiste au désir de domination, universel et hors de son ordre "  Br.332. (244)

  

 

4.      Les rapports de force

   Rousseau a encore montré qu'ils étaient instable et réversibles et que le droit du plus fort est une expression idéologique vide de sens, c'est un hommage paradoxal que la force rend au droit. « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître. » Du contrat social L.I Ch. 3

 Donc ni les rapports naturels, ni le rapport de force ne peut fonder légitimement le pouvoir.   Il reste alors une chose

 

 

5) le savoir.

 Le savoir comme légitimation du pouvoir est autrement rigoureuse, un métaphore simple suffit à l'expliquer, c'est celle que prend Platon dans la république d'un navire dans lequel on choisirait le pilote par un vote démocratique : la grave conséquence serait de choisir, non pas le plus compétent dans son domaine, mais celui qui sait le mieux persuader les foules TEXTE 10

Telle est la compétence des sophistes, qui, ne connaissant rien, n'ayant la maîtrise d'aucun art, on développé une sorte de savoir faire leur permettant de manipuler les foules :

"Ils [les sophistes] ressemblent en tout point à quelqu'un qui, chargé d’élever un animal gros et fort, se serait informé en détail de ses instinctifs et appétits." République VI 493a

  Il faudrait donc choisir le plus compétent pour diriger la cité : c'est le thème platonicien du roi- philosophe. « Tant que les philosophes ne seront pas rois dans les cités, (…) il n’y aura de cesse, mon cher Glaucon, aux maux de la cités » Platon La république, V, 412c. Le philosophe est celui qui peut saisir les idées, fonder en raison le préférable pour une cité et, par sa connaissance de ce qui est le meilleur, ne plus laisser l'homme errer dans ses volontés asservies par le désir mais l'orienter vers une plus haute liberté. « Les maux ne cesseront pas pour les humains avant que la race des purs et authentiques philosophes n’arrive au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement. » Platon Lettre VII TEXTE 11

            Platon considère d’ailleurs qu’il faut toute une sélection et une éducation pour déterminer celui qui aura le moins de chances d’abuser du pouvoir, il faut veiller à ce que toujours ils aient en mémoire la maxime qui consiste toujours travailler au plus grand bien de la cité, « il faut les éprouver dès l’enfance (…) puis choisir ceux qui se souviennent, qui sont difficiles à séduire » ibid. 413c

 Le danger est là manifeste d'un pouvoir qui aurait à discrétion de déterminer pour les individus ce qui est le mieux pour eux, ce qui est leur vouloir réel dont ils sont incapables de prendre conscience. C’est le contraire de l’idéal des lumières : résumé dans la formule de Kant : "sapere aude" : Ose penser, savoir. 

La seconde objection est une croyance Platonicienne, bien discutable, entre la compétence intellectuelle et la correction morale d'un individu. Pour Platon le méchant est avant tout un ignorant, parce qu'il ignore son vrai intérêt, identique à une perfection morale. L'histoire a montré que bien des savants, ou des intellectuels, se sont livrés à la corruption, ou à la tyrannie. 

Résurgence cependant de ce type de conception dans l'importance accordée à l'expertise dans la direction de la destinée des peuples.

 Ce n'est alors ni sue le pouvoir ni sur le savoir que le pouvoir peut fonder sa légitimité, ce ne peut être, comme l'a vu Rousseau, que sur le vouloir.

  

 

C/ la légitimité effective : le contrat social

  

1) Enoncé

 Assure la validité d'une société formée sur le vouloir humain et qui ne la dénature pas : «  trouver une forme d'association qui défende et protège la liberté de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui même et reste aussi libre qu'auparavant ». Rousseau, Du contrat social, livre I Ch. VI TEXTE 11

 Le contrat n'a cependant pas la nécessité d'être explicitement passé sous la forme d'un événement, il est plutôt l'essence implicite du rapport entre les individus et le tout.

 Le contrat se présente comme la possibilité rationnelle de rendre les libertés maximales et compatibles. Le fondement en est donc la raison humaine, c’est elle qui est capable d’examiner dans quelle mesure une volonté peut s’harmoniser avec une autre et établir un bien commun.

 Seul ce qui correspond à ce critère d’une rationalité dans la considération des volontés est légitime. Cette condition nécessaire n’est peut-être pas pour autant suffisante.

 

 

 

2) Les garanties contre l'abus de pouvoir.

 

Il faut comprendre comme le dit Alain que « L’abus de pouvoir est un fruit naturel du pouvoir ; d’où il résulte que tout peuple qui s’endort en liberté se réveillera en servitude ».  Propos du 6 janvier 1910. Il faut donc construire des remparts contre la tendance naturelle du pouvoir à en abuser.

 

  a) les constitutions

 

  Bien entendu tout le jeu des constitutions consistent justement à permettre un fonctionnement d'un gouvernement mais à éviter également (d’où l'équilibre des pouvoirs, la surveillance mutuelle qu'ils exercent sur leur propre dérive) toute captation par le pouvoir de la souveraineté, car le gouvernement se délègue mais la souveraineté est indivisible et inaliénable. Le populisme par exemple prétendrait à la seule légitimité conférée par une élection au mépris de la légalité d’une constitution.

 

 

 

  b) La société civile et  résistance de  l'individu

 

  La conscience individuelle, comme le rappelle Alain dans ses propos sur le pouvoir doit prendre  distance avec le pouvoir, dans un exercice critique et libérateur. Rappeler au pouvoir ce qu’il doit au hasard, ou mieux, à la volonté du peuple : «  toute la violence et toute la vanité des grands vient de ce qu’ils ne connaissent point ce qu’ils sont ».  Pascal Discours sur la condition des grands, premier discours

 

Ce qui implique une surveillance de la part de la société civile un contrôle constant : « Tout pouvoir est méchant dès qu’on le laisse faire ; tout pouvoir est sage dès qu’il se sent jugé. » Propos du 25 janvier

 

A côté de cet effort théorique il faut une résistance à la fascination que veut exercer le pouvoir, et une forme de contrôle constant de la société civile. « Nous n’avons point à louer, ni à honorer nos chefs ; nous avons à leur obéir à l’heure de l’obéissance, et à les contrôler à l’heure du contrôle. » Propos du  4 mai 1929

 

   

 

3) conclusion sur la légitimité

 

   La légitimité d'un pouvoir ne se mesure donc pas seulement de manière positive, au fondement dont il se réclame et à la perfection de ses formes institutionnelles, cette forme abstraite peut toujours être résorbée par le fonctionnement concret du pouvoir, ( ce n'est pas parce qu'un pouvoir est légitime que toutes ses décision sont ).

On peut même craindre qu'une recherche d'une démocratie parfaite ne se retourne contre la liberté qu'elle veut promouvoir

La promotion par exemple, du Référendum ( on peut  prendre l'exemple du référendum d'initiative citoyenne revendiquée par Etienne Chouart) est à ce titre la recherche d'un consensus populaire difficilement atteignable

 

On peut au contraire, considérer avec Claude Lefort que la démocratie est un lieu de débat et de dissension qui ne cherche pas toujours à se résoudre, qui maintient la tension pour en faire émerger des compromis.

 

  Tout comme il y a un critère, dit Popper, de falsification d'une théorie qui en assure la scientificité, il y aurait un critère de « contestabilité » du pouvoir (et non d'une base de légitimité incontestable et " scientifique" critère de légitimité qui est en fait le principe de fonctionnement totalitaire car dispensant de rendre compte de soi à personne. (Cf. l'histoire du «  on peut pas se plaindre... ») Ce n'est pas l'invitation à l'anarchisme, mais à, comme le dit Alain « l'obéissance irrespectueuse », obéissance qui admet le fait du pouvoir puisqu'il est nécessaire mais qui, irrespectueusement en discute les actes.