LE VIVANT

 

 

I LE REDUCTIONISME

 

A)        Une réaction contre le vitalisme

 

La pensée première du vivant est sa spécificité et son mystère, une idée d’une force inexpliquée qui s’opposerait à la matière. L’âme, pour Aristote c’est ce qui anime le vivant. On distingue alors l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme rationnelle.

L’âme c’est ce qui informe la matière, ce qui lui donne sa forme et son mouvement.

Plus moderne, mais tout aussi énigmatique, Bergson parle d’un élan vital qui expliquerait la spécificité du vivant. "Avec la vie, apparaît le mouvement imprévisible et libre. L'être vivant choisit ou tend à choisir." L’évolution créatrice.

On retrouve une expression analogue chez certains scientifiques eux-mêmes :

« Quand nous voyons, dans les phénomènes naturels, l'enchaînement qui existe de telle façon que les choses semblent faites dans des buts de prévision, comme l'oeil, qui se forme en vue de lumières futures , nous ne pouvons nous empêcher de supposer que les choses sont faites intentionnellement , dans un but déterminé. » Claude Bernard.

 

Remplace une interrogation par un mystère.

 

B)        Réductionnisme en termes de modèles

 

1)         Le modèle mécanique :

         C’est l’automate ou la montre qui sert de référence. Descartes tout d’abord, veut réduire toutes les force à du mouvement et de la chaleur, et ne voit en l’animal qu’une machine plus complexe, parce que crée par Dieu. « considéreront ce corps comme une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes » Descartes Discours de la méthode partie V

         La Métrie va plus loin et considère que l’homme lui-même n’est qu’une machine, il abandonne cette âme que lui concédait Descartes. Certains modernes vont aussi loin, cf. Changeux dans « l’homme neuronal ».

         Le modèle thermodynamique n’est qu’une variante du modèle mécaniste, il explique simplement mieux deux principes du vivant, l’anabolisme et le catabolisme, qui sont l’assimilation et le renvoi d’énergie. (nourriture pour le vivant, carburant pour la machine)

 

2)         Le modèle cybernétique

Considère la notion d’information comme centrale, montre que le vivant correspond à un code que l’on a trouvé, le code génétique, qui est une information pour une usine à protéine, le séquençage du génome en 2001 laissait espérer une possible compréhension du vivant sur le modèle d’un décryptage. Le code génétique est un système de correspondance entre les séquences de nucléotides de l'ADN et les séquences en acides aminés des protéines.

 

3)         Insuffisance des modèles

Kant dans la critique de la faculté de juger, §65, montre que l’automate ( et la critique vaut pour le moteur) ne permet pas de penser le vivant :

         Solidarité différente des parties : Dans une montre un rouage existe pour un autre, mais non pas par un autre.

         Un automate, ou un moteur ne pourrait ni se produire elle-même, ni se réparer, ni se reproduire. « Dans une montre un rouage ne peut en produire un autre, et encore moins une montre d’autres montres » Kant

         En somme un automate, ou un moteur, a tout au plus une force motrice, il ne peut avoir une force formatrice.

         Surtout le principe du vivant est différent de celui de la matière : Le second est régi par le principe thermodynamique qui veut que tout système tend à se dégrader, ce qui implique, en termes d’information, une désorganisation. La vie apparaît alors comme ce qui résiste à ce principe, comme une « néguentropie ». C’est ainsi que Bichat définit la vie : « La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».

 

C)        Réductionnisme chimique

 

En l’absence de possibilité en termes de modèle, on a pensé une réduction en termes de composition. Le vitalisme a été abandonnée dès 1845, date de la transformation, par Kolbe, d’un composé inorganique, le disulfure de carbone, en composé organique, l’acide acétique.

La découverte de l’ADN a permis de considérer le vivant, comme formés de 4 bases azotées fixées à un désoxyribose (un sucre), le tout lié à un phosphate.

La biologie de synthèse ne semble plus hors de portée : En 2007 Craig Venter a « fabriquée » la première bactérie dite synthétique, c'est-à-dire entièrement reconstruite par génie génétique autour d'un chromosome de synthèse (Chromosome artificiel bactérien)..

Ce réductionnisme pose le problème de la singularité du vivant : s'il est possible de réduire le vivant à une organisation chimique, quelle est alors la spécificité d'une connaissance du vivant ?

Il reste que le vivant demeure dans un type d'interaction avec son milieu qu'il est difficile, pour l'instant, de totalement modéliser, et d'un dynamisme propre liée à une histoire. C'est cette dimension historique, cette évolution, que la biologie cherche également à connaître.

 

II LE MOTEUR DE L’EVOLUTION DU VIVANT

 

A)        Exploitation d’un modèle ancien : le finalisme

 

1)         compréhension finaliste du vivant en dehors de l’évolution

Le finalisme c’est, lié au vitalisme, la première compréhension du vivant. C’est l’idée selon laquelle la fin d’une chose, ou son aboutissement, est la cause de cette chose.

O n dira par exemple que l’œil est fait pour voir.

Il y a deux sortes de finalités :

          la finalité interne : Chaque organe semble disposé pour concourir à l’harmonie de l’ensemble, c’est ce qui forme un organisme

          La finalité externe : Tout le vivant semble concourir à une organisation générale, une harmonie naturelle. On trouve même des avatars moderne de cette conception Cf. James Lovelock L’hypothèse Gaïa : « la biosphère est une entité autorégulatrice »

 

 

2)         Compréhension finaliste à l’intérieur de l’évolution

 

          Considère qu’il y a une sorte d’intention dans le vivant, que l’évolution intègrerait l’idée selon laquelle c’est « la fonction qui crée l’organe ». Lamarck a pensé l’évolution avant Darwin, mais il y introduit un principe de finalité : c’est, pour lui, parce que les girafes devaient attraper des feuilles hautes que leur cou s’est allongé.

          Autre considération de la finalité, plus intentionnelle qui considère que tout le vivant avait comme finalité l’émergence de l’homme, abordé ensuite dans le retour du finalisme.

 

B)        L’apport Darwinien

 

1)         L’apport théorique

 

         Représente un progrès par rapport au finalisme qui, en supposant des intentions dans le vivants, est suspect d’anthropomorphisme. Chez l’homme l’intention commande : c’est pour aller quelque part ( effet ) que je prends mon train ( cause). Supposer que c’est pour voir (effet et fin) que l’œil se forme (cause) supposerait une sorte « d’intention du vivant » ce qui est pour le moins suspect.

         Permet d’expliquer le vivant en ne recourant qu’à un concept très économique : le hasard des mutations : « Une mutation est au hasard, en ce que la chance qu'une mutation survienne n'est pas affectée par le fait qu'elle puisse être utile à la survie de l'espèce" (De l'origine des espèces), et un autre principe, lui aussi très compréhensible, la sélection du plus apte.

 

 

2)         L’apport en terme de connaissance ( heuristique)

 

         Des faits bio géographiques: On a remarqué que les espèces nées sur des îles sont voisines des espèces du continent dont les îles se sont détachés mais avec des différences inexplicables,( comme l'a remarqué Darwin sur les îles Galápagos ) Ou bien elles sont totalement différentes des espèces continentales ( comme en Australie ) Seul l’évolutionnisme permet d'intégrer ces faits, toute autre explication est ridicule: " Le créateur serait-il à l'affût des terres nouvellement émergées pour leur donner à chacune des espèces qui leur soient propres ? Pour rester sérieux, soyons évolutionniste" Jules Carles Le transformisme Que sais-je ?

         les faits anatomiques : Tous les crânes des mammifères sont composés des mêmes os, fait incompréhensible sans supposer une transformation à partir d'une souche commune.

         Faits Paléontologiques: Tout au long du tertiaire on peut retracer l'évolution de fossiles équidés qui vont du petit mammifère à cinq doigts jusqu'au cheval actuel à un seul doit en passant par près de dix espèces. Ceci ne peut s'expliquer que par la régression progressive des doigts latéraux, de la transformation continue des dents qui s'adaptent de plus en plus à un régime herbivore. Le transformisme permet en conséquence de savoir ce qu'on cherche: Dan un terrain e telle époque on sait qu'on a par exemple des chances de trouver un fossile intermédiaire entre telle ou telle espèce: Les grenouilles actuelles datent du jurassique, elles ont 8 vertèbres et pas de queue, elles étaient donc rattachées à des amphibiens de la fin du primaire avec un longue queue et une trentaine de vertèbres. Or en 1937 on put découvrir à Madagascar, dans des terrains triasiques, l'animal intermédiaire (seize vertèbres, queue vestigiale = protobatrachus). Les fossiles sont " toujours au rendez-vous du calcul "

         Faits embryologiques Le développement de l'embryon d'une espèce passe par des stades qui rappellent les états embryonnaires d'animaux inférieurs : ex: L'embryon humain présente des indications de fentes branchiales qui se retrouve actuellement chez les poissons. L'hypothèse transformiste permet d'expliquer cela: l'individu récapitule les diverses formes par lesquelles est passé son espèce pour arriver à son état actuel.

Avec le Darwinisme, l’évolution totale des espèces s’explique par le seul hasard, aucun besoin de recourir à une finalité quelconque. « l’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers d’où il a émergé par hasard ». Jaques Monod Le hasard et la nécessité

 

 

III LIMITES DE LA COMPREHENSION SCIENTIFIQUE DU VIVANT

 

A)        Statut problématique de la théorie de l’évolution.

 

En ce qui concerne son statut : Popper ne reconnaît pas le caractère scientifique de la théorie de Darwin.

Elle ne peut être testée, parce qu’elle n’a pas de valeur prédictive. « comment mesurer la réussite effective d’un effort pour survivre ? La possibilité de tester une mesure aussi faible que celle-ci est presque nulle. » Popper mystère de l’historicisme

         Cette critique n’est qu’en partie justifiée, on a vu qu’en paléontologie, la théorie de l’évolution permettait une prédiction.

         En revanche une telle théorie ne peut être infirmée définitivement, elle ne répond pas au critère de falsifiabilité.

         Son statut n’est pas exactement celui de la psychanalyse qui est de l’ordre de l’interprétation pure, mais elle demeure infra scientifique.

Il s’agit davantage d’une métaphysique que d’une théorie scientifique, elle affirme que notre origine est due au hasard, ce qui est manifestement un parti pris, comme le montre la phrase de Monod.

 

La théorie de Darwin ne parvient pas à expliquer certains faits biologiques.

Le grand classique de cet argument c’est celui des micromutations : Pour qu’apparaisse un organe complexe il faut non pas une mutation mais un grand nombre. Comment chaque mutation intermédiaire représenterait-elle un avantage sélectif qui expliquerait qu’elle ait été sélectionnée.

         L’œil en est un exemple, son adaptation à la lumière demande un grand nombre de mutations, c’est pourquoi les opposants à Darwin l’on toujours présenté comme un exemple paradigmatique. Cependant des recherches ont montré différentes étapes de la formation de l’œil, chez les poissons notamment, depuis de simples photorécepteurs d’il y a 600 millions d’années, jusqu’à un organe de vision.

         Plus troublante le fait que le cerveau humain se soit développé au détriment des muscles ( le cerveau recevant le glucose qui leur était nécessaire) à l’époque où un développement musculaire aurait représenté un plus grand avantage.

 

Hormis ses insuffisances, il ne faut pas négliger les succès du Darwinisme qui a donné la possibilité de penser le vivant de façon dynamique et sans recourir à des notions inacceptables. Certains de ses acquis sont indiscutables, comme le lien entre l’homme et l’ensemble du monde animal, ce que justement ses détracteurs ne peuvent supporter.

 

 

B)        Tentative de réintroduction d’une finalité

 

- Abandon de l’ancienne revendication d’un créationnisme littéral lié à l’enseignement de la bible. ( ce qu’on a appelé le créationnisme terre-jeune parce qu’il croyait à une datation de 6000 ans, ce que défendent encore les témoins de Jéhovah)

- Apparition d’une tentative qui consiste à montrer que le vivant n’est compréhensible qu’en supposant une intention à l’intérieur du vivant, en montrant qu’on ne peut comprendre le vivant sans recourir à cette notion.

- Intention nette de réintroduire dans la science une

 

C)        Nécessité d’une neutralité scientifique.

 

         Différence d’énoncé entre mécanisme et finalisme.

          On peut affirmer: " la fonction de la chlorophylle dans les plantes est de leur permettre d'effectuer la photosynthèse " (c'est à dire de fabriquer de l'amidon à partir de carbone dioxyde et d'eau en présence de lumière solaire.) Le terme de fonction indique directement la notion de but et donc de finalité incompatible avec un énoncé scientifique.

          Cependant on peut changer l'énoncé sans rien perdre de son contenu informatif, il suffit de dire: " Les plantes effectuent la photosynthèse seulement si elles contiennent de la chlorophylle " ou bien " Une condition nécessaire pour la production de la photosynthèse par les plantes est la présence de chlorophylle"

 

         Hiérarchie et neutralité

          Hiérarchie : On ne peut mettre sur le même plan la théorie de l’évolution et un quelconque créationnisme, elles ne respectent pas au même degré le critère d’objectivité :

         On peut parfaitement être croyant et évolutionniste

         Il est impossible d’être créationniste et athée.

Il est donc clair que même l’intelligent design est une offensive religieuse conservatrice pour nuire à la liberté d’esprit et à l’objectivité scientifique.

          Neutralité : Il n’en est pas moins vrai que se prononcer sur le caractère évidemment hasardeux des mutations, de l’évolution ou des adaptations biologiques (comme le fait Jaques Monod) est également connoté. Il serait peut-être plus judicieux d’abandonner parfois le problème de causalité, de constater des relations sans forcément se prononcer sur leur nature, ou du moins, lorsqu’on se prononce sur leur nature, savoir qu’il s’agit d’un propos métaphysique, et ne pas tenter, parfois de la façon la plus malhonnête, de lui donner le statut de science, prétendre chercher le vrai pour mieux empêcher l’autre d’avoir d’autres choix que les miens.