LA RELIGION

 

 

 

L'existence de la religion n'est pas problématique (contrairement aux notions qui considèrent des valeurs, comme la justice ou la liberté).

 la religion est un fait, et tout d’abord un fait anthropologique dont un des premiers caractère serait la diversité.  Dans cette mesure on parlerait davantage des religions que de la religion.

  Tout examen du fait religieux devrait donc commencer par une enquête anthropologique pour déterminer des caractères communs qui permettraient de déterminer un fait comme religieux, de spécifier une attitude religieuse. Ceci en prenant garde d’éviter l’erreur la plus courante dans l’examen de ce thème : La réduction du religieux à ce qui nous en est familier, l’opinion ayant tendance à confondre les pratiques et les interdits de sa religion comme déterminant les caractère de toute religion.

Mais l'enquête sur la religion ne peut rester seulement anthropologique, il faudra aussi se prononcer sur la "vérité" possible de son discours. S'il est difficile d'examiner l'ensemble des croyances et la pertinence de leur discours sur le monde, on peut s'attarder sur celles qui prétendent détenir une vérité métaphysique et ont articulé un discours en ce sens. En somme on se demandera si la pensée peut traiter la question de Dieu compris comme un être en dehors du monde et créateur du monde.  

 

 

I LES ASPECTS DU RELIGIEUX.

  

A) Le respect religieux

 Il ne faut certes pas réduire un phénomène à sa seule origine historique mais l'étymologie peut orienter : 

Vient de relegere qui signifie prendre soin, respecter. 

Cependant le terme de respect plusieurs sens. Au  sens moderne ce serait la reconnaissance rationnelle de la valeur d'un être ou d'une chose alors que le respect au sens religieux est plus archaïque, il considère ce que l'on tient en respect, ce dont on est proche et à distance, il n'est pas de l'ordre de la raison mais du sentiment 

  

             1) Description du sentiment

 

Au temps primordial, homme isolé, incapable de comprendre les forces de la nature, sentiment de crainte mais aussi par la présence d'ombres, l'éveil de l'imagination, sentiment du mystère qui se cache, attraction pour ce mystère.

   Sentiment ambivalent qui caractérise la mise en présence du mystère: La crainte et la fascination 

L'objet du sentiment religieux  « Constitue à la fois la suprême tentation et le plus grand des périls. Terrible, il commande la prudence ; désirable, il invite en même temps à l'audace. » Caillois : l'homme et le sacré   On peut prendre un exemple ethnologique (Lévi-Strauss chez les Nambikwaras) ou simplement culturel : l'usage du sacré dans les films d'horreur.

 

            2) Objet du respect ( ce qu'on respecte )  

A première vue : Dieu. mais difficulté: n'a pas du tout un sens universel. 

Une puissance mystérieuse dans un premier temps: le sacré. 

Mais surtout une frontière: la frontière entre le profane et le sacré. C'est là que l'on peut déterminer une caractéristique du religieux : il est fondamentalement dualiste. Ou du moins pour lui le monde réel se double d'une signification autre. 

Le crime religieux par excellence est le non respect de cette frontière:

- L'usage profane du sacré ( manger un hostie en disant " j'ai faim "  

- L'usage sacré du profane ( bénir un corps avec un objet usuel )  

 Là où le religieux pend son sens c'est qu'il ne constitue pas seulement un mise en respect fascinée du mystérieux, mais aussi l'assurance d'un lien entre le profane et le sacré.

Ce qui assure ce lien: le rite.

 

 B) le rite

 

Le rite excède le simplement religieux, ou plutôt des rites modernes sont des survivances de rites cf. les rites militaires d'initiation «  les réjouissances qui accompagnent la nouvelle année ou l'installation dans une maison neuve présentent laïcisé, la structure d'un rituel de renouvellement. » Mircéa Eliade: le sacré et le profane

Cependant dans le rite purement en relation avec le sacré il y a  2 types de lien:   

- Le lien magique 

- le lien religieux.  

 Etude du magique: se servir du sacré à des fins profanes  

2 crédos   L’action sur le symbole de la chose est une action sur la chose (cf. vaudous et peur de briser miroirs ou de photos) et  Il peut y avoir un résultat sans travail. Fondamentalement le lien religieux est inverse du lien magique. 

Le lien religieux constitue un mouvement du profane vers le sacré: une " action de grâce ". A l'inverse le lien magique constitue une intrusion du sacré dans le profane, une technique pour faire en sorte d'imposer une action profane au sacré.  

- La frontière est claire dans les religions archaïques: le prêtre lorsqu'il officie en tant que sorcier, lorsqu'il demande une intervention du sacré, officie dans le sens inverse.

  - Dans les religions modernes la confusion est plus grande, risque pour le religieux de dégénérer en magique. Une mère qui prie pour son enfant ou le malade qui va à Lourdes pratiquent une forme de magie. => Reserve de la part des églises à l’égard des miracles ou du surnaturel et du paranormal

 

  

C) Aspect social du religieux

 

  

1) La gestion de la violence et formation du lien 

Fonction intégratrice du religieux 

- Permet de distinguer la secte de la religion: critère observable (contre critère subjectif de " l'épanouissement de la personne ») 

- La présence de hiérarchie. Différence entre catholicisme et orthodoxie ( église autocéphale) ou protestantisme et islam. Surtout, comme le montre René Girard, "la religion contient la violence", et elle le fait dans les deux sens du terme. Le sacrifice est violent mais il constitue une alternative archaïque à la violence. 

 

2) le pur et l'impur  

Notion aussi complexe ne se limite pas au correct incorrect Le pur et l'impur est un vecteur d'organisation social et de direction du comportement. 

- Il règle par exemple les problèmes de consanguinité par la double structure des totems et des tabous (une relation sexuelle avec une femme appartenant au même totem est tabou = entraîne l'impureté de celui qui transgresse) fondateur de l’interdit de l’inceste. 

- Il structure la société sur le plan juridique: un criminel devra se livrer à des rites de purification Surtout première solution inventée au problème de la violence : le sacrifice 

- Il impose des règles d'hygiène: Interdiction de manger certaines viandes.

Prescriptions non statiques, un acte peut être impur ou pur en fonction de certains " calendriers " (carême ramadan ).  

En approfondissant les rites on s'aperçoit donc que la religion n'est pas seulement un discours sur le mystérieux, elle a une fonction sociale, ce que confirme son ascendant sur le comportement.2 aspects du commandement  

Interdit ou prescription.

  La plus archaïque forme de commandement religieux: le totem et le tabou du domaine de la magie, pas de la religion.

  - Pas dans le domaine de la stricte obéissance: l'obéissance sans la compréhension est de la soumission. Danger énorme: obéir sans se demander si cela est bon ou non est le fondement du fanatisme et des crimes religieux. 

 

 

 

3) les difficultés de la laïcité   

- Toute religion présente la tentation de vouloir s’immiscer dans la vie civile et la régir comme elle le faisait à son origine. La laïcité est cette organisation rationnelle du rapport entre la société et les religions qu'elle abrite. Mais ce ne sont pas les religions elles-mêmes qui, de l'intérieur (contrairement à ce qu'a fait l'Etat) ont limité leurs pouvoirs. 

-"  les laïcités ont toutes en commun le fait d’articuler, de façon plus ou moins harmonieuse, quatre principes. Deux portent sur les finalités : la garantie de la liberté de conscience, l’égalité et la non-discrimination. Deux concernent les moyens : la séparation du politique et du religieux, la neutralité de l’État à l’égard des diverses croyances. Le terme de laïcité est donc irremplaçable, (…) parce que seul il est capable de rassembler ces quatre éléments. " Jean Baubérot, Micheline Milot, Laïcités sans frontières, Seuil.

- Chaque religion représente une organisation du lien social, comme chacune  représente également un danger social. Jaques Dariulat parle des différents dangers liés aux religions  monothéistes : "le judaïsme est menacé par le narcissisme aveugle (...), le christianisme par le despotisme comme humiliation nécessaire de la vanité humaine (..), l'Islam par le conformisme et le respect méticuleux des hiérarchies, ou par le vertige et l'extase qui transportent dans l'infini, et réduisent à néant toute valeur simplement terrestre".    http://www.jdarriulat.net/Essais/ReligionsLivre.html

 - Il faut alors constamment rappeler aux religieux la distance entre origine et fondement. Que les religions soient à l'origine des organisations sociales, cela est un fait. Elles ne peuvent plus en être au fondement sans verser dans la tyrannie.  Ce que certains religieux comprennent en se disant laïcs.

 

D) La transformation du religieux

 

  - Intervient lorsque prise de distance avec le mythe. 

Lorsque ce qui était objet d'une pure émotion devient objet de pensée, ce qui distingue la le divin du sacré. Importance radicale de ce passage: 

- L'objet de la pensé prend ses dimensions et les religions deviennent catholiques, i.e. universelles, ce qui pose des problèmes, chaque religion ayant une conception de Dieu valable pour tous, les conflits sont prévisibles.  Auparavant les religions étaient particulières à un peuple, et chacun trouvait normal que l'autre ait un Dieu différent ( cf. la tolérance religieuse à Rome ). 

- Naissance également du prosélytisme: puisque l'on a une idée universelle de Dieu, il va falloir convaincre de sa validité, ou l'imposer par tous les moyens. 

Une seule religion universelle non prosélyte: le judaïsme.  

En ce qui concerne le rapport de la pensée au divin, il est ambivalent

- La raison permet de conforter la foi, d’où le travail des pères de l’église, St Augustin ou St Thomas. On peut même dire que l’idée d’un dieu unique correspond aux exigences de la raison. C'est ce que montre  le passage des religions polythéistes au monothéisme avant le christianisme :  dès qu'une religion se pense, elle abandonne le simple sentiment pour recourir au divin. Zeus ou Jupiter, avaient chez Cléanthe ou Epictète et les traits qu'un chrétien ne renierait pas pour son dieu. Cela parce que la raison est une exigence de compréhension totalisante, et que Dieu, au sens propre « comprend » tout.  

Le simple sentiment du sacré ne permet pas l'accès au divin  

- Inversement la réduction de Dieu à une simple entité intellectuelle brise la foi du croyant: Attention au Dieu simple objet de pensée « Le Dieu des Chrétiens ne consiste pas en un Dieu simplement auteur des vérités géométriques et de l'ordre des éléments; c'est la part des païens et des épicuriens.  Il ne consiste pas seulement en un Dieu qui exerce sa providence sur la vie et sur les biens des hommes, pour donner une heureuse suite d'années à ceux qui l'adorent; c'est la portion des juifs.  Mais le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob, le Dieu des Chrétiens, est un Dieu d'amour et de consolation, c'est un Dieu qui remplit l'âme et le coeur de ceux qu'il possède, c'est un Dieu qui leur fait sentir  intérieurement leur misère, et sa miséricorde infinie, qui s'unit au fond de leur âme; qui la remplit d'humilité, de joie, de confiance, d'amour. » Pascal pensées 556 

=> Un autre sentiment du sacré fondateur de la foi: Non plus la terreur fasciné devant le mystère de la nature mais la prise de conscience intellectuelle de la fragilité de l'existence: - - Autre danger: La pensée qui mène au Divin pourrait également s'interroger sur la validité de la pensée de l'existence Dieu, confronter Dieu à la pensée

 

 

 

II LA QUESTION DE L'EXISTENCE DE DIEU

  

INTRODUCTION Cette question ne prend place que dans le cadre d’une religiosité pensée et qui attribue l’ensemble de la réalité à un créateur déterminé doué d’une intelligence et d’une volonté. (Spinoza par exemple assimile Dieu à tout ce qui est "Deus sive natura" 

 

A) Distinction préalable entre la croyance et le savoir. 

Il faut distinguer les formes de croyance en ce qu'elles sont valables, soit objectivement, soit subjectivement TEXTE 8. Un homme rationnel devrait accorder sa croyance subjective à au raisons objectives qu'il aurait de croire en quelque chose. C'est là que Kant va classer l'opinion à la fois insuffisante subjectivement et objectivement, la foi qui n'est suffisante que subjectivement et le savoir qui est suffisant à la fois subjectivement et objectivement.  Mais justement on peut considérer que certains croyant ne se contentent pas d'admettre le caractère objectivement insuffisant de leur foi, ils voudraient en appeler au savoir. Les plus honnêtes tentent d'argumenter et de considérer des arguments pour améliorer la probabilité de validité objective de leur croyance, c'est cela qu'il faut envisager. (Pour plus de détails je vous conseille la très bonne émission de la chaine youtube : le décodeur philosophique

 

 

B) L’approche indirecte

 

Etude du discours que tiennent chaque tenant d’une position sur celui qui tient une position différente. 

 

1) Les causes de l'incroyance:

- Le matérialisme ( dans le sens de consumérisme). Le catéchisme considère souvent que l'indifférence à la foi est proportionnel à la préoccupation pour les réalités matérielles.

- L'orgueil : Accusation qui a une force : elle est liée à l'origine même de ce qui est le péché le croyant. C'est par orgueil qu'Eve pèche dans la Genèse (et que l'homme en général pèche dans le Coran)  mais elle  conduit généralement à criminaliser le blasphème, et l'accusation s’avère réversible : qui est le plus orgueilleux, celui qui se croit le fruit du hasard ou celui qui pense être la création du maître de l'univers ? 

La plus  sérieuse: la désinvolture, ou l'apathéisme:  le fait de ne pas s'interroger sur le sens de l'existence, en se plongeant dans le divertissement." Voilà mon état plein de faiblesse et d'incertitude. Et de tout cela je conclus que je dois donc passer tous les jours de ma vie sans songer à chercher ce qui doit m'arriver (...) Qui souhaiterait d'avoir pour ami un homme qui discourt de cette manière ? " Pensées 194

L'accusation est subtile : seul celui qui n'a jamais envisagé la réalité de notre condition peut se passer de l'espérance en une alternative. Mais celui-là est indigne. 

 

Le corpus semble plus vaste concernant l'approche symétrique.  

 

2) Les causes de la croyance

 

 2 grand axes : Psychologiques et sociologiques:

Socio économique. Possibilité d'expliquer les idées par leur référence à une réalité matérielle. " Le mode de production de la vie conditionne le processus d'ensemble de la vie sociale, politique et spirituelle. " Marx " Contribution à la critique de l'économie politique

 - Dans cette optique la réalité économique et sociale que traduit la religion est celle d'une oppression. C'est le moyen idéologique qu'emploie le patronat pour éviter toute révolte, St Paut ne dit-il pas " Vous, esclaves, obéissez à vos maîtres d'ici-bas avec crainte et tremblement, en simplicité de cœur, comme au Christ" Epitre aux Ephésiens, 6, 5-6. ?

Mais c'est aussi une consolation et une espérance pour celui qui n'a rien ici-bas. C'est "le soupir de la créature opprimée". Marx Critique de la philosophie du droit de Hegel in sur la religion

- Combattre la religion c'est enlever à l'homme "l'opium du peuple", ce qui lui permet de supporter l'oppression, non pas pour que l'oppression soit plus dure à supporter mais pour que l'homme se révolte.

" La critique a dépouillé les fleurs des chaînes imaginaires qui les recouvraient, non pour que l'homme porte des chaîne sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu'il rejette les chaînes et cueille les fleurs vivantes." ibid. 

Critiques Psychologiques 

Elles sont nombreuses, Nietzsche évalue la faiblesse vitale de ceux qui ont besoin d'arrières mondes par exemple. Mais la plus connue est celle de Freud. 

Les caractères de Dieu La sévérité la puissance, le fait qu'il punisse et qu'il récompense, les réactions de l'homme à son égard correspondent point par point à l'influence psychologique d'un autre personnage, réel celui là: le père. 

D'où possibilité de déterminer une origine psychologique de la puissance. Enfant l'homme a quelqu'un qui le protège est lui offre la réalisation de ses désirs : le père. En grandissant l'enfant s'aperçoit que le père n'est pas assez puissant pour le protéger de la dure réalité. Il projette donc dans le ciel un e illusion garante des mêmes valeurs que celles véhiculées par le père, mais capable de le protéger de tout: Le père D'où l'expression de Freud dans l'avenir d'une illusion: " Dieu n'est qu'un père plus puissant "

D'où également la question orientée de Freud: " Le stade de l'infantilisme n'est-il pas destiné à être dépassé ? Freud L’avenir d’une illusion   

Généalogie historique de la religion et de ses formes parallèlement à l'évolution psychologique: 

- Le petit enfant croit en la possibilité de réaliser directement ses désirs: ( cf. " je compte 1 2 3 et cela va arriver " pensée magique de l'enfant. parallèlement la 1ère pensé religieuse croit en une réalisation magique de ses désirs il suffit de vouloir pour que cela arrive ( cf. les procédés d'imitation des événements naturels pour les provoquer ( danse qui imite le tonnerre pour faire pleuvoir )

- L'enfant plus âgé croit qu'il suffit de demander. Correspond au stade religieux (cf. La prière)

- L'adulte sait que le réel est indépendant de ses désirs. Stade technique.

 

  Problème général de cette argumentation.

D'abord elle est malhonnête : parler de l'orgueil ou de l'indignité d'un athée comme Camus est aussi ridicule que de parler de l'immaturité d'un chrétien comme Pascal. 

Elle n'aborde pas directement le problème. La discipline interprétative ne s'intéresse pas à la validité du propos, elle élude la question centrale pour analyser celui qui la pose. Renseigne plus sur l'homme que sur l'existence de Dieu en lui même.  

  

 

C/ La question des preuves

 

  1) Les tentatives de preuve rationnelle

(On peut en trouver 5 dans la somme Théologique de Thomas d'Aquin synthétisées ici)

  Ces preuves veulent toutes montrer que Dieu serait satisfaisant pour la raison, qu'il serait "logique" qu'il y ait un Dieu, et elles passent de cette nécessité logique, à l'existence réelle de Dieu. Il s'agit en somme, selon la critique Kantienne,  de prendre les désirs de la raison, pour des réalités.

 

  - La preuve ontologique St Anselme et Descartes Med. V  

Fait de l'existence une perfection, un attribut de Dieu, être souverainement parfait.  

Descartes montre par exemple qu'il est aussi absurde de supposer un Dieu qui n'existe pas que d'imaginer un triangle qui n'aurait pas trois côtés, ou une montagne n'ayant pas de vallée. "l'existence ne peut non plus être séparée de l'essence de Dieu que de l'essence d'un triangle rectiligne la grandeur de ses trois angles égaux à deux droit" Descartes, Méditation 5

 

 L'existence de Dieu serait donc, analytiquement comprise dans sa définition.

Critique : l'existence n'apporte rien conceptuellement à une idée. Il n'y a pas, au niveau de l'idée de différence entre un milliard d'euros existant et un milliard d'euros n'existant pas. Au niveau de la définition ça va être la même chose. Pour les distinguer il faudra le constat de leur existence, dans le monde pour Dieu (ce qui est impossible), du milliard sur mon compte en banque (ce qui est à peine moins impossible).(Pour une étude plus poussée de l'argument vous pouvez voir cette émission du youtubeur Monsieur Phi).

L'existence n'est pas une propriété interne à une chose, ce n'est pas un prédicat ni un concept. L'existence se constate, elle ne se déduit pas.  

 Il est certes contradictoire de penser qu'un triangle n'ait pas trois côtés, mais rien ne m'interdit de penser que le triangle n'existe pas.  

 

- La preuve cosmologique: Prouve Dieu non par lui même mais par ses oeuvres: Formulé par Aristote, Platon (lois, livre X) et Aristote (métaphysique, livre VIII) ". Nous savons qu'il y a mouvement dans le monde; celui qui soit dans le mouvement est déplacé par une autre chose; cette autre chose doit également être déplacée par quelque chose; pour éviter une régression infinie, nous devons poser en principe un " premier moteur, " qui est Dieu. " St Thomas d'Aquin Somme théologique (Q.2 art.3)

Critique  

Dieu est cause du monde parce il faut une cause à tout. Bien entendu c'est pour l'homme qu'il faut une cause à tout.  On passe d'une nécessité logique à une nécessité ontologique. 

Certes la critique Kantienne de la causalité (comme celle du temps) peut être relativisée, la causalité peut-être davantage qu'une simple catégorie logique. Mais considérer la valeur absolue de la causalité comme veut le faire tout théologien (même contemporain) inspiré d'Aristote ou de Thomas d'Aquin, est encore plus excessif. D'ailleurs certaines réalités physiques montrent l'insuffisance de cette causalité et nous obligent à contester cette absoluité : il y a un indéterminisme fondamental de la mesure en mécanique quantique. "Dieu ne joue pas aux dés" disait Einstein, mais c'est Niels Bohr qui avait raison (les curieux peuvent en voir la démonstration ici) : il y a un hasard fondamental au coeur de la matière. 

 Et s'il faut parler de réalité, en quoi un effet sans cause est-il moins probable qu'un être incausé ?

  Dieu est certes satisfaisant pour la Raison : la raison cherche une cause à tout ce qui lui procurerait le confort d'une explication globale. Dieu constitue l'arrêt de la répétition sans fin du principe de raison. Dieu est le seul moyen de faire taire l'enfant qui répète "Pourquoi ?" à chaque réponse qu'on lui donne.

Les religieux dogmatiques ont aussi l'habitude d'inverser la charge de la preuve : dès qu'un phénomène est incompréhensible ils demandent : "comment explique tu cela si ce n'est par Dieu ? Par exemple beaucoup affirmaient que l'esprit des morts flottaient dans les cimetières, comment expliquer autrement les feux follets ? …  Jusqu'à ce qu'on connaisse les propriétés du phosphore.  

Dieu comme le dit Spinoza, c'est un "asile de l'ignorance".  Ethique, Livre I, appendice

 

 

Critique générale des preuves rationnelles:

 

 Critique Kantienne: Il faut discerner ce que la raison peut connaître et ce qu'elle ne peut connaître. Manifestement les théologiens  abusent de la logique et tentent de l'exploiter dans des domaines où cela n'est pas pertinent: 

Comme souvent, l'homme confond ce qui serait satisfaisant pour sa raison et la réalité. Dans le vocabulaire de Kant on peut dire que : il s'agit d'une illusion transcendantale: « La nécessité subjective de concepts en nous passe par une nécessité objective de la détermination des choses en soi." KANT, Critique de la Raison pure, Dialectique Transcendantale, introduction.  

si on ne peut soutenir de façon absolue la critique kantienne de la logique, il reste que son constat est sûr : la métaphysique, contrairement à la science, n'a jamais été capable de dégager le moindre consensus et, contrairement aux religieux, les scientifiques n'ont jamais eu besoin de bûchers ou de violence pour imposer des vérités. 

- Correspond à ce que  Pascal avait déjà considéré  : l'impertinence de la raison dans le problème de la croyance en Dieu: " Examinons donc ce point et disons: «Dieu est ou il n'est pas». Mais de quel côté pencherons-nous? La raison n'y peut rien déterminer; il y a un chaos infini qui nous sépare" Pascal pensées 233

   De façon plus simple et plus évidente une réflexion sur ce qu'est une preuve peut invalider ces arguties: on prouve que quelque chose ou quelqu'un existe par un constat, une expérience qui le met en évidence. On a supposé que les microbes existaient, il a fallu constater cette existence, même chose pour une planète ou pour l'ADN. Or d'expérience de Dieu on ne peut en avoir. Certains prétendent en avoir eu mais elle sont incommunicables donc ne méritent pas ce nom (pas plus que les témoignages sur les sorcières, les extra terrestres ou les lutins, sans bien sûr les mettre au même niveau). Comme le dit Kant "une existence se constate, elle ne se démontre pas."

   

 

2) Les preuves par exigence:

- L'ordre général du monde, théologie naturelle  

  Voltaire: " “L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer – Que cette horloge existe et n’ait point d’horloger”"

  Suppose que le monde est tellement ordonné, qu'il y a une telle complexité qu'elle ne peut s'expliquer que par un esprit suprêmement intelligent. Surtout invoqué en biologie et en physique : Le vivant est un mystère, les conditions pour que la vie apparaissent sont tellement nombreuses qu'on peut difficilement penser qu'elles soient dues au hasard. L'équilibre des forces fondamentales ayant donné se monde correspond à une probabilité infime.  

 " Une cellule vivante est composée d’une vingtaine d’acides aminés formant une chaîne compacte. La fonction de ces acides aminés dépend, à son tour, d’environ 2000 enzymes spécifiques.  Les biologistes calculent que la probabilité pour qu’un millier d’enzymes différents se rapprochent de manière ordonnée jusqu’à former une cellule vivante (au cours d’une évolution de plusieurs milliard d’années) est de 10 puissance mille contre 1."  Cité in Dieu et la science de Jean Guitton. Même chose chez Rousseau : « Et que de sophismes ne faut-il point entasser pour méconnaître l’harmonie des êtres » Emile IV

  Même chose en physique, où l'ordre du monde apparaît comme manifeste (surtout avant la mécanique quantique et la relativité restreinte) : "Cet arrangement aussi extraordinaire du Soleil, des planètes, et des comètes, n’a pu avoir pour source que le dessein et la seigneurie d’un être intelligent et puissant" Newton principes de philosophie naturelle 1687 

La physique des particules montre également que s'il y avait eu une infime variation dans les 4 forces fondamentales la réalité matérielle n'aurait pas été possible.

Critique :  D'abord cet argument est une incompréhension des probabilités : Tout évènement particulier quel qu'il soit suppose une infinité de conditions, cela ne veut pas dire qu'il ne soit pas hasardeux. Prétendre au "miracle" de ce qui existe est aussi ridicule que de lancer une flèche au hasard, dessiner une cible autour et se prétendre archer d'exception :  « La probabilité a priori que se produise un événement particulier parmi tous les événements possibles dans l'univers est voisine de zéro. Cependant l'univers existe ; il faut bien que des événements particuliers s'y produisent, dont la probabilité (avant l'événement) était infime. » Monod, le Hasard et la nécessité (1970).

  Ensuite il est anthropocentrique: La seule valeur de cet argument suppose la valeur a priori du monde tel que nous le connaissons, nous sommes bien sûr juge et partie. 

La vie vaut pour un vivant, certes, dire qu'elle vaut "objectivement" pour un "sujet" est une absurdité qu'affirment pourtant même des théologiens modernes :  

« Et il y a objectivement plus de perfection ontologique dans ces potentialités infimes perdues au milieu de nulle part que dans le chaos des univers inféconds. » F. Guillaud, Frédéric. Dieu existe (2013).

 Cet argument correspond à ce que certains nomment le raisonnement Panglossien 

L'ordre particulier de certaines structures internes  

- Les partisans de la théologie naturelle invoquent également l ’ordre particulier ou la régularité inexplicable d’un phénomène : Comment expliquer la régularité de cristaux de neige ou le fait que les spirales d’un nautile suivent exactement une courbe logarithmique ? On a affaire encore ici à une finalité négative : il ne s’agit pas de trouver une fin déterminée à un objet (comme dans l’outil ou la fin détermine la forme), l’esprit se demande comme le hasard a pu produire une telle régularité. C’est une analogie très ancienne que l’on trouve chez Vitruve et Cicéron, que reprend Kant dans le §64 de la Critique de la faculté de juger (analyse approfondie dans un article de Jaques Darriulat) : un voyageur sur la plage, trouvant sur la plage des dessins géométriques penserait forcément que l’île est habitée.

Cet argument a quelque force, mais comme Kant le montre lui-même, il s’agit d’une illusion subjective, la confusion entre le sentiment d’une création intelligente et l’attribution d’un phénomène à une volonté :

 - Contrairement à ce qui se passe pour un outil trouvé, la fin de la régularité d’un cristal de neige par exemple est ignorée, c’est une « finalité sans fin »

 - Nous connaissons des phénomènes réguliers que nous savons être le pur fruit du hasard : une rose des sables est le produit hasardeux du sable et du vent, la régularité du déploiement d’une onde de choc dans l’eau décrit également un phénomène physique sans besoin de recourir à « l’intelligence d’un créateur »

 -  l’adaptation du vivant à son milieu a commencé à trouver un modèle explicatif cohérent avec le fait évolutif et la théorie de la sélection naturelle. Tout n'est pas expliqué dans le vivant, mais cela ne valide aucunement une interprétation encore moins économique et toute incursion de la métaphysique dans le domaine serait une rupture avec les exigences élémentaire de la scientificité (cf. cours sur Le Vivant)  

- De façon générale l’argument inverse la charge de la preuve  : il veut démontrer une existence et demande qu’on lui fournisse une explication. Ce sera toujours à celui qui affirme l'existence de donner la preuve, pas à celui qui la conteste.

Enfin l’argument de la théologie  naturelle se heurte à un élément majeur: le mal.

 

C) La question du mal. 

 

Or le mal rien ne peut le résoudre, il reste comme une objection majeure et déterminante à l'existence de Dieu. cf. la citation de Stendhal que cite Nietzsche dans Ecce Homo: " la seule excuse de Dieu c'est qu'il n'existe pas."

Dieu aurait pu mieux faire, et facilement. Comment imaginer qu'un être parfait et bienveillant soit l'auteur de ce monde ?  

Bien sûr nombre de maux sont imputables à l'homme : les guerres, les famines, la pauvreté. Mais que dire des maladies ? Que penser d'un Dieu qui autorise la souffrance pour mourir d'enfants innocents ? Comment penser que rien de meilleur ou de moins atroce n'ait pu advenir ? Et si on peut imaginer un Dieu meilleur que Dieu, alors il n'est pas. Voilà le raisonnement athée.    "La souffrance des enfants devrait suffire à confondre les avocats de Dieu" dit Marcel Conche, Une orientation philosophique, p. 37  

La religion n'est pas sans réponse face au mal, on peut même considérer que "le mal" n'a véritablement de sens que dans une perspective religieuses. Et certains athées semblent même peu cohérent lorsqu'il parlent d'un "mal en soi". Le mal se vit pour le croyant monothéiste comme un mystère. Mais c'est ce mystère justement qui donne un sens au mal et permet de ne pas accroître le mal par son absence total de sens. Tel est le sens du livre de Job (Sourate 21 dans le Coran ) qui prend en compte de façon radicale le problème du mal : Confronté au mal injuste, à la souffrance qui touche le juste, Job est celui qui dépasse le principe de récompense et de punition dans ce monde pour parvenir à une confiance gratuite en Dieu.

L'incroyant en revanche considère que le mal est une objection majeure à l'existence de Dieu.  

 

- Il restes l'exigence morale:

Dieu et un autre monde comme seule possibilité de réaliser comme le dit Kant, l'harmonie entre le bonheur et la moralité, synthèse impossible dans le monde.  Seule la croyance en Dieu peut assouvir ce besoin de justice dont on sait que jamais il ne trouvera satisfaction en ce monde. Mais l'argument peut s'inverser :  dans le cas d'une récompense et d'un peine dans l'au delà, ou est la morale ?  

Plus grave  il peut y avoir un rejet de Dieu au nom de la morale ou de la justice, d'un principe plus haut: c'est ainsi qu'Albert Camus interprète la révolte d'Ivan Karamazov dans L'homme révolté. Ivan affirme que même si Dieu existait, il n'en voudrait pas, que si un seul était damné, il refuserait le salut, et que rien de ce que propose Dieu ne peut compenser la souffrance des innocents. C'est également le propos de Marcel Conche, qui rend Dieu inexcusable, et rend ainsi le problème de son existence superflu pour l'athée.  

 

  CONCLUSION

 

Le fait religieux est inhérent à toute société humaine, il correspond à un sentiment et consiste fondamentalement en une séparation de la réalité en deux structures antithétiques : le profane et le sacré. Ce fait est à l’origine de nombreuses organisations sociales dont certaines perdurent.  La religiosité a connu un bouleversement considérable avec l’avènement du monothéisme, le passage du seulement sacré au divin proprement dit. Les conséquences historiques en furent impressionnantes et parfois tragiques, mais ce changement a également constitué le fait religieux en problème philosophique : celui de l’existence, ou non, d’un créateur de l’univers. Il faut certes éviter d’éluder la question par la réduction d’une position intellectuelle à la psychologie ou à l’intention de son auteur, mais par ailleurs toutes les tentatives de démonstration de l’existence de Dieu ont montré leur faiblesse,  parce qu’elles se basaient sur une incompréhension de notre pouvoir de connaître.  L’existence de Dieu ne peut être connue, mais elle peut être pensée. Les arguments majeurs des croyants sont l’ordre de l’univers et le besoin humain d’un sens. Ces deux arguments se heurtent à un problème majeur celui du mal, qui transforme souvent le problème théologique en problème axiologique, et aboutit à deux positions existentielles également respectables : pour l’athée le mal est une objection radicale à toute intelligence créatrice possible, pour le religieux le mal est un mystère que la croyance arrache à l’absurdité sans pourtant lui conférer un sens assignable.

 

Pour ceux qui veulent une étude rigoureuse de la bible je conseille les cours de Thomas Römer au collège de France