LA LIBERTE

 

 

I LA LIBERTE COMME POUVOIR

 

A/ Assimilation

Dans le sens commun, on est libre lorsque l’on fait ce que l’on veut, par exemple lorsque personne ne peut avoir d’autorité sur nous, que nous pouvons tout faire. Il y a même une plus grande liberté que de faire ce que l'on veut c'est lorsque les autres aussi font ce que nous voulons. La liberté s’assimile alors au pouvoir, et on est d’autant plus libre qu’on en a davantage. Le fantasme fréquent de la richesse est à la fois un fantasme de liberté et de pouvoir (surtout pouvoir de faire faire) : si j’étais libre je ferais ce que je voudrais. C’est en ce sens qu’un Calliclès dit que ce que doit faire un homme c’est avoir assez de force pour s’imposer et laisser libre cours à ses passions : « Il faut laisser prendre à ses passions tout l'accroissement possible au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence. » PLATON, Gorgias. TEXTE 1

Glaucon dans la république montre d’ailleurs que tout homme voudrait en faire autant, ne subir aucune contrainte et être véritablement libre, et il se sert pour cela d’un mythe, le mythe de Gygès, un berger qui acquiert un anneau invisible et ensuite parvient à prendre le pouvoir. Glaucon veut montrer par là qu’il ne restait pas librement à sa place, mais qu’il le faisait par contrainte : "ceux la même qui, par impuissance à commettre l'injustice, s'emploient à être juste ne s'y emploient pas de leur plein gré" La république 359b-360c.

Cette conception, demeure évidente, elle établit une échelle avec au sommet le tyran ou le riche et plus bas l'esclave (et le pauvre) Elle pose cependant certains problèmes. Voilà la conception dont le sens commun sort peu : la liberté comme licence 

 

B) Problèmes de l’assimilation

1er problème : politique : Dans ce cas un seul est libre, un seul fait ce qu’il veut. Si quelqu’un fait tout ce qu’il veut, il peut entrer chez moi et me faire faire ce qu’il veut, moi, je ne suis donc plus libre. Ce problème est celui que tentent de résoudre les constitutions, qui cherchent à rendre compatibles les libertés (cf. le cours sur La justice) et la citation de Kant" Le droit est la limitation de la liberté de chacun à la condition de son accord avec la liberté de tous, en tant que celle-ci est possible selon une loi universelle. " Emmanuel Kant, Théorie et pratique, 2e partie. (Pour le pouvoir économique, il n'y a pour l'instant en revanche, aucune modération, ni aucune limite). 

2ème problème : Un homme peut dire  " Je fais ce que je veux " et ne pas être libre. Un drogué qui me dit qu’il est libre de consommer, ne me paraît pas tel, je ne me sens pas libre non plus si je cède à la colère ou à ce à quoi je ne voudrais pas céder «Vraiment ce que je fais je ne le comprends pas, car « Je ne fais pas ce que je veux, je fais ce que je hais » St Paul Epitre aux romains VII, 14-25 (suis-je libre de vouloir alors que je suis entraîné par le poids du péché ?) 

« Souvent nous voyons le meilleur et nous suivons le pire » Spinoza l’Ethique, Livre III, scolie de la prop.2  .  En fait il y a, dans le sens commun confusion entre le fait de faire ce que l'on désire et faire ce que l'on veut.  "Un sujet est libre s'il agit comme il veut, ce qui implique qu'il peut ne pas agir comme il le désire" F. Wolff, Plaidoyer pour l'universel.  L'idéal de liberté, est peut-être un idéal de pouvoir, mais c’est surtout un idéal de maîtrise, et le tyran ou le riche cupide, qui sont les sommets du pouvoir, ne sont sûrement pas des modèles de liberté.  Il semble même qu’on préfèrerait comme Epictète, être un esclave sage qu’un maître fou : Sénèque (Lettres à Lucilius, CX) : Potentissimus est qui se habet in potestate (Celui-là possède la suprême puissance qui se possède en soi même) ou comme le formule Montaigne : « pouvoir toute chose sur soi » Essais III, 12 

Il y a donc une deuxième échelle qui placerait au sommet le sage et au plus bas le fou (et le drogué entre les 2) La liberté véritable serait donc cette possibilité de maîtrise. Il faudrait distinguer la licence ou l'indépendance de la liberté véritable, (ce "faire ce que l'on veut"). Il faut considérer ce qu'elle suppose. 

 

 

II LA LIBERTE DE DECISION

 

A) Son affirmation

 

1) Le libre arbitre

« La liberté consiste seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l'entendement nous propose, nous agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu'aucune force extérieure nous y contraigne. » Descartes Méditations 4

Un acte peut être incité (par passion), mais incitation n’est pas une détermination. « la nature commande à tout animal et la bête obéit » dit Rousseau dans le Discours sur l’origine… de l’inégalité… Bel exemple du contraire chez Khadirov (vidéo à partir de 17:01) Le nom que prend la liberté est alors Auto-détermination

La liberté de choix impose une discipline qui, selon la formule de Kant dans la critique de la faculté de juger (§83) est « la libération de la volonté du despotisme du désir»

 

 

2) La volonté

Faire vraiment ce qu’on veut, ne pas céder au caprice du désir

La volonté est une intention, c'est à dire une représentation de l’effet de l’acte. Il faut une réflexion pour prendre une décision libre. Le capricieux est celui qui dit et fait n’importe quoi sans considérer les conséquences pour lui-même et les autres.

En une hiérarchisation des désirs en fonction de cette représentation. « Si je connaissais toujours clairement ce qui est vrai et bon, je ne serais jamais en peine de délibérer quel jugement et quel choix je devrais faire ; et ainsi je serais entièrement libre sans jamais être indifférent. » Descartes .

Ainsi l'acte libre n'est pas l'acte indifférent, mais l'acte le plus profondément motivé, le plus réfléchi. L’homme libre est celui qui demeure capable de réflexion et de discipline, qui instaure comme le dit Goethe « la seigneurie de soi-même ». La liberté prend même alors le nom de souveraineté (sur soi bien entendu). Mais il ne s'agit pour l'instant que d'affirmation, bien difficiles à prouver. On pourrait cependant considérer comment on éprouve cette liberté, dans quelles circonstances nous en faisons l'épreuve : 

 

 

B) Les épreuves morales de la liberté

 

Veulent montrer cette forme de liberté, complémentaire de la maîtrise et d'une certaine forme de licence dans les limites du droit : l'autonomie

 

1) Le remord et l’acte moral

Le remord est l’expérience rétrospective d’une liberté éprouvée. « En même temps qu’il y a choix, il y a conscience qu’il nous eut été possible de faire un autre choix. C’est cela qui entraîne la responsabilité humaine ». Axel Khan. 

Quelqu’un peut se chercher des excuses dans tout un tas de causes qui peuvent l’avoir amené à commettre un acte, considérer, comme le dit Kant « comme quelque chose où il a été entraîné par le torrent de la nécessité naturelle », Kant : Critique de la raison pure, il s’en voudra néanmoins parce qu’il pensera qu’il aurait, à tort ou à raison, qu’il aurait pu agir autrement. Et « ce blâme se fonde sur une loi de la raison où l'on regarde celle-ci comme une cause qui a pu et a du déterminer autrement la conduite de l'homme, indépendamment de toutes les conditions empiriques nommées. » Ibid.

 Une volonté libre se détermine elle-même, elle se revendique et s'assume, on dit qu'on l'a voulu lorsqu'on a agi pour des raisons et de bonnes raisons, et ce qui les rend bonnes, ce qui nous permet de les revendiquer, c'est qu'on pourrait les vouloir pour tous. Le nom le plus élevé de liberté comme volonté est donc l'autonomie.

Une volonté autonome est une volonté déterminée uniquement par sa possibilité de devenir une loi, c’est à dire sur la valeur universelle de la motivation à la base de l’action. « La liberté est cette propriété qu’a la volonté de se donner à elle-même sa loi » Kant fondements de la métaphysique des mœurs. Cf Rousseau « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » Du contrat social L.I, ch.8. On n’est pas déterminé par une loi (comme la gravitation) mais par la représentation d’une loi (déjà vu dans le cours sur l'Etat). La liberté véritable équivaut alors à l'Autonomie.

 

 

2) Conséquence sur les types de liberté. (Cf. cours sur le Droit)

On comprend comment il est possible d'obéir aux lois et d'être libre : La vraie liberté (autonomie) est l'obéissance à la raison.

Puisque la loi dans un état légitime est l'expression de la volonté générale et que l'acte libre consiste à se demander si ce que l'on veut peut-être voulu par tous alors il y a correspondance nécessaire entre la liberté est l'obéissance à la loi. cf. Rousseau : « Ce que l'homme perd par le contrat social c'est sa liberté naturelle et un droit absolu à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre ; ce qu'il gagne c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède. » Du contrat social L. I, CH. VIII

 

Transition 

La conception uniquement morale de la liberté peut sembler trop restreinte, voire trop facile : nous pouvons être confrontés à des choix cruciaux, alors que les enjeux moraux sont équivalents. Sartre prend un exemple : si vous êtes soutien de famille en cas de conflit, que choisir ? L'engagement et l'abandon ou la sollicitude et l'inaction ? Sans parler des choix sans connotation morale évidente : quelle orientation choisir ? 

La question de la liberté est donc davantage une question existentielle, qu’une question purement rationnelle.

 

 

 

C) Les épreuves existentielles

(Liées à l'auto détermination )

 

 l'angoisse et les obstacles extérieurs.

L'angoisse comme sentiment de la liberté est paradoxal, pour le comprendre il faut distinguer peur et angoisse : « la peur est peur des êtres du monde, l'angoisse est angoisse devant moi; Le vertige est angoisse dans la mesure où je redoute non de tomber dans le précipice mais de m'y jeter. » Sartre, l'être et le néant p. 64 L'angoisse est liberté parce qu'elle me montre que ce que je vais faire n'est inscrit ni en moi ni hors de moi, que rien ne me l'indique, que ce que j'ai à être j'ai à l'inventer, comme j'ai à produire mon acte. TEXTE 6

Mais l'angoisse est épreuve dans le sens d’éprouvant : l'angoisse se révèle comme impossibilité de trouver une quelconque assurance cf. " on est condamné à être libre ". Paradoxe de Sartre : c’est dans les moments de crise que la liberté se fait jour le plus clairement cf. « On n’a jamais été aussi libre que sous l’occupation allemande » Impossibilité de se laisser aller à l’inertie des choix antérieurs (la plupart des choix ne sont que des acceptations, libres, mais de façon moindre)

  - Le fait que l'on soit libre ne signifie pas que l'on a tout choisi, nous n'avons choisi ni de naître ni d'être libres, il y a "une facticité de liberté" (elle aurait pu ne pas être)

Nous ne choisissons pas non plus un ensemble de données : le lieu de notre naissance, notre milieu, etc. Mais ce sont des situations, c'est à dire qu’elles invitent à prendre position par rapport à elles, à leur donner un sens.  " Il n’y a de liberté qu’en situation et il n’y a de situation que par la liberté. La réalité humaine rencontre partout des résistances et des obstacles qu’elle n’a pas créés ; mais ces résistances et ces obstacles n’ont de sens que dans et par le libre choix que la réalité humaine est. » L'être et le Néant. p.532 Par exemple, un rocher n'est pas un obstacle, en soi, il est un obstacle pour moi, si j'ai le projet de passer de l'autre côté. 

Il existe des restrictions à ma liberté venues du dehors (handicap etc.) Cependant ces données ne limitent pas mes possibilités mais lui donnent un autre cadre : « Il est vrai de dire que l'on m'ôte des possibilités. Mais il est aussi vrai de dire que je m'y cramponne ou que je ne veux pas voir qu'elles me sont ôtées (...) En un mot ces possibilités sont non pas supprimées mais remplacées par un choix d'attitudes possibles envers la disparition de ces possibilités. » Ibid.

 

 

 

 

 

III LE LIBRE ARBITRE MIS EN QUESTION

 

A) Les épreuves de l’absence de liberté

 

1) L'épreuve de la liberté des autres cf. cours sur Autrui

Révélation, épreuve de la liberté de l’autre, mise en question de la mienne

La honte : Autrui peut figer ma liberté et me transformer en objet.  Là pas destruction constante de ma liberté, compréhension de la liberté de l'autre. Saisie du fait que ma liberté existe dans un monde intersubjectif. " La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres " reçoit aspect positif : Je saisis surtout que la liberté des autres commence, que je ne peux pas considérer autrui simplement comme un objet de ma perception, je le considère toujours aussi comme un sujet d'appréciation

 

 

2) L'impossible déni de la liberté : La mauvaise foi

Restriction par moi-même de ma liberté, qui paradoxalement la révèle.

Restriction réelle de ma liberté. Cf. Simone de Beauvoir : Pour une morale de l'ambiguïté

Refuser de prendre conscience de l'humanité de l’autre :

Paternalisme : l'autre (le noir, la femme, n'est pas mûre pour la liberté) 

Idéologie : L'homme (pour qui seul quelque chose vaut) est moins important que la valeur, il y a une valeur en soi des valeurs => on peut y sacrifier L'homme (= esprit de sérieux de la tradition, fanatisme).

La lâcheté, qui consiste à ne pas réfléchir, et à ensuite affirmer l’irresponsabilité.

 

Se faire passer pour un être : Refuser d'assumer la paternité de son acte, le considérer comme découlant d'une nature : son immaturité, son genre etc. La quête de liberté se confond alors avec une forme d'authenticité.

Que nous ayons toujours le choix ne veut pas dire que nous puissions tout choisir et parfois ce choix se réduit a du presque dérisoire ou à une exigence d'héroïsme, voire à rien du tout.

Chez les autres et chez soi

 

3) L'aliénation 

L'aliénation économique ou sociale : la liberté apparaît toujours comme : transcendante" capable de dépasser ce qui est, mais des forces puissantes et efficaces s’opposent à ce dépassement. TEXTE 5
Quelle peut être par exemple le choix laissé à un ouvrier d'un pays pauvre ? Il lui restera à choisir quel type d'homme il sera, dans son cadre familial ou amical, mais sa situation demeurera la même, il fera toujours la même chose. Si on lui parle de liberté formelle il constatera son absence de liberté réelle.  Pour échapper a sa situation, pour qu'il y ait la possibilité même d'une révolte encore faudrait-il qu'on lui permette d'imaginer autre chose, qu'il ne reste pas comme dirait Sartre dans l'en soi. Or ceux qui l'aliènent ont a cœur de lui montrer le caractère intangible de sa situation.

 L'aliénation sociale est plus importante encore, elle semble intégrer une part de conditionnement : quel choix de vie, existentiel, peut avoir une femme de certaines sociétés traditionnelles : la tradition Sartre disait qu'elle était une colle de la conscience, parce qu'elle maintient les choses dans leur forme, fait croire aux individus que leurs choix sont déjà effectués pour eux.  "Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir d'en sortir" Rousseau Du contrat social L.I ch. 2 Même dans nos sociétés une femme dans les années 1950 devait avoir des qualités exceptionnelles pour s'arracher à la force d'un modèle social présenté comme déjà déterminé. A ce titre Simone de Beauvoir est un bon exemple. On repère d'ailleurs beaucoup mieux chez les autres que chez nous leur tendance à être déterminé par le milieu, il est dans le domaine parfois très difficile de croire a la liberté de quelqu'un ayant eu une éducation dont le seul but était semble-t-il de produire un individu identique a ceux qui prodiguaient cette éducation.

Mais plus grave qu'une éducation sclérosante et ayant un contenu, il y a l'absence d'éducation, la carence, à laquelle bien peu d'individu s’arrachent, à laquelle il faut, pour qu'il y ait émancipation, des conditions plus exceptionnelles encore.

Le chef d'œuvre de la perte de la liberté est un type spécial d'aliénation

Le fait de convaincre l’autre qu’il est incapable d’assumer sa liberté. Kant en donne une illustration « Après les avoir d'abord abêtis en les traitant comme des animaux domestiques, et avoir pris toutes leurs précautions pour que ces paisibles créatures ne puissent tenter un seul pas hors de la charrette où ils les tiennent enfermés, ils leur montrent ensuite le danger qui les menace, s'ils essayent de marcher seuls. » Kant Qu’est-ce que les lumières

Il y a d'ailleurs un confort dans l'aliénation qui explique que des gens, comme le dit Spinoza, se battent pour leur servitude comme s'il s'agissait de leur salut. Manifeste chez les esclaves, mais surtout chez les femmes : lorsque l'on a supprimé l'obligation de l'autorisation des maris pour le travail des femmes, un grand nombre de femmes a manifesté contre. La personne la plus libre, sera la plus émancipée

Modération de la liberté Sartrienne

C'est ce que Sartre a fini par admettre, et à la fin de sa vie il a préféré à la forme "nous sommes toujours libres " cette formule plus modeste "on peut toujours faire quelque chose de ce qu'on a fait de nous." Mais elle même demeure discutable. 

Il ne s’agit pas dans cette optique, d’une véritable négation de la liberté, il s’agit simplement de considérer les difficultés de son épanouissement. En revanche un doute plus grave peut planer sur la liberté elle-même, En nous-mêmes, nous faisons aussi parfois l'épreuve de l'absence de liberté : comme le dit Spinoza, cette épreuve est souvent rétrospective : par exemple lorsqu'on a subi une passion et qu'elle est terminée nous ne comprenons plus notre cécité antérieure. Parfois cette impossibilité de maîtrise nous apparaît de façon contemporaine. Nous savons tous par expérience que l'on ne pense pas toujours ce qu'on veut, que parfois des idées nous assaillent, que des représentations s'imposent à nous : difficile par exemple, lorsqu'on attend les résultats d'un examen important de " ne pas y penser". La liberté ne serait-t-elle pas une illusion lorsqu’elle est éprouvée ?

 

 

 

B/ La nécessité ou le déterminisme général.

 

 La détermination considère que l'homme fait partie de la nature tout effet à une cause et il n'y a pas de cause qui ne soit aussi un effet. Dans ce cas trouver la liberté humaine dans quelque îlot de contingence, dans un indéterminé paraît absurde.

Liberté Métaphysique comme auto détermination est une illusion. Cf. mécanisme de l’illusion : répond à un phénomène réel et persiste à sa réfutation

 Mécanisme réel en cause dans l’illusion de la liberté = ignorance des causes qui nous font agir.  « Un ivrogne croit dire par une décision libre ce qu'ensuite il aurait voulu taire." Spinoza lettre à Schuller

La liberté alors encore pensable est le fait d’agir selon la seule nécessité de sa propre nature = la liberté qui s’oppose à la contrainte.  « Je dis que cette chose est libre qui agit par la seule nécessité de sa nature et contrainte celle qui est déterminée par une autre à exister et agir » SPINOZA lettre à Schuller

Cependant cette définition n’est pas un retour à la seule puissance : Celui qui se laisse aller à ses passions est en fait déterminé par les objets de sa passion. Celui qui est libre est celui qui laisse se développer en lui sa pensée, qui fait en sorte que sa pensée ne soit pas déterminée par une pensée étrangère ou une opinion  

Pour l'homme en l'occurrence la liberté consiste à être déterminé par sa seule raison "je déclare l’homme d’autant plus en possession d’une pleine liberté, qu’il se laisse guider par la raison” SPINOZA Traité théologico politique Ch. II 11 Donc C'est ce qui permet à l'homme d'avoir une forme d'indépendance, de passer de la passivité de la passion à l'activité que confère l'usage de la raison. « Chacun de nous a le pouvoir de se former de soi-même et de ses passions une connaissance claire et distincte, sinon d'une manière absolue, au moins d'une façon partielle, et par conséquent chacun peut diminuer dans son âme l'élément de la passivité. » L'Ethique V proposition 4, scolie

 Donc  nous sommes en présence de deux conceptions de la liberté non conciliables  Vous pouvez trouver une présentation claire et ludique sur le Très bon site de science étonnante 

 

  

 

IV L’ANTINOMIE 

 

Elle concerne l'opposition radicale entre deux conceptions de la liberté et de l'homme : celle qui affirme le libre arbitre et celle qui défend un déterminisme étendu à l'homme. 

A)    Constat

Liberté favorable à la morale et à la religion : Toute l'ancienne psychologie, la psychologie de la volonté, n'existe que par le fait que ses inventeurs, les prêtres, chefs des communautés anciennes, voulurent se créer le droit d'infliger une peine, ou plutôt qu'ils voulurent donner ce droit à Dieu. Les hommes ont été considérés comme « libres », pour pouvoir être jugés et punis, pour pouvoir être coupables Nietzsche Crépuscule des idoles.

Il est en effet difficile de considérer l'innocence de tout individu, et de mettre sur le même plan moral le pire criminel, et l'individu le plus vil avec le saint, le héros ou le sage o"Le principe de l'action morale est ainsi le libre choix" Aristote Éthique à Nicomaque VI,2

D'un autre côté, les sciences humaines, la sociologie ou la psychologie, mais aussi certains aspects de la biologie comme l'endocrinologie ou la neurologie semblent confirmer le raisonnement spinoziste, le film d'Alain Resnais "mon oncle d’Amérique" qui est l'illustration des thèses du neurologue Henri Laborit en est un exemple : il montre des humains effectuant des "choix" selon des modalités comparables à celles qui font opter les rats de laboratoire pour tel ou tel comportement. 

 

 

B) la solution transcendantale

Elle trouve son origine dans une théorie Connaissance concernant le concept de causes : On ne peut parler des causes d’un acte humain comme on parle des causes d’un phénomène.

 

1) La complexité de l’acte

D’abord pour une raison de complexité : Le principe même d’une expérience cruciale consiste à isoler la cause d’un phénomène, faire en sorte qu’une seule cause intervienne. Or dans un acte humain, un écheveau de causes peut intervenir. Kant parle pour l’acte, de « la profondeur à laquelle se cache ses causes ». Surtout l’homme déterminé c’est l’homme tel que je le comprends, l’homme objet d’expériences, pas l’homme tel qu’il est (et surtout pas tel qu'il s'éprouve lui-même) Je peux avoir un lien causal entre mes gènes mon taux d’hormones, mon système nerveux et mon agressivité. Ma psychologie et mon milieu peuvent induire le même tempérament. Mais, comme le dit Sartre, un tempérament n’est pas un acte.

 

 

2) La causalité (conception Kantienne)

Le problème de la liberté réside dans celui de la causalité. Et de 2 choses l’une :

Ou la causalité est une relation intrinsèque au monde

Ou il s’agit de ma façon de comprendre le monde, une relation interne à ma logique.

Si la cause appartenait au monde, je ne pourrais jamais rien en dire a priori, en dehors de l’expérience (comme je ne peux rien dire d’absolument certain concernant la causalité historique)

Or je peux totalement a priori déterminer des propositions nécessaires à propos de la cause. Ex : Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Donc la cause est le concept à travers lequel je comprends le monde.

Conséquence : je peux continuer à penser la causalité d’un acte humain (ce qui est favorable à la connaissance). Cependant je dois toujours également supposer l’homme comme possiblement libre. 

Cet idéalisme de la causalité est peut-être excessif, il offre une solution élégante au problème mais pas toujours convaincante.

En tout état de cause, il faut au moins savoir que l'on tient un discours métaphysique lorsqu'on en produit un ce que ne font peut-être pas tous les scientifiques : 

Il est vrai qu’il y a des déterminants de l’action humaine, mais il est contestable de dire que ces déterminants parviennent à un seul effet possible.

Comme ceux qui prétendent que la liberté est un fait de raison, ceux qui prétendent à un déterminisme strict, les scientifiques comme Changeux ou Damasio  (cf. « l’erreur de Descartes), se permettent un discours métaphysique sans reconnaître leur discours comme tel, ils font, selon la formule Kantienne « un usage transcendant des concepts de l’entendement pur ». Lorsque Freud dit "La croyance profondément enracinée à la liberté et à la spontanéité psychiques est tout à fait antiscientifique et doit s'effacer devant la revendication d'un déterminisme psychique." Introduction à la psychanalyse, il n’est pas scientifique parce qu’il tient un discours métaphysique. On peut être déterministe, mais il faut savoir qu’il s’agit, comme s’agissant de la liberté, d’une croyance.

La liberté ne peut donc se prouver, elle demeure une possibilité jamais une évidence déterminée. Merleau Ponty montre bien que les deux solutions sont insuffisantes (cf. Textes)

 

C) La liberté comme éthique et spontanéité au-delà de la décision

 

1) La liberté du sage

Le sage bien entendu est celui qui éprouve ce qu'il veut et pense ce qu'il veut, il semble à la fois incroyablement libre des influences de son milieu, comme le semblent un Spinoza ou une Simone de Beauvoir, et subissant au minimum le dictat de ses passions, « ne pas haïr, ne pas aimer, mais comprendre », disait encore Spinoza. On ne sait si le sage est sage comme dirait Sartre, parce qu'il maintient à un niveau exceptionnel cette aptitude transcendante de la conscience, ou bien s'il est tel simplement par chance, parce qu'il a l'heureuse faculté d’être, à un degré supérieur, déterminé par sa raison, comme le dirait Spinoza, et comme les traditions philosophiques ou autres en montre des exemples, Epicure, Epictète, ou Lao Tseu pour ne citer qu'eux. Il demeure que cette sagesse, donc cette liberté, nous faisons fréquemment l'épreuve de son absence et elle demeure un horizon. 

 

2) La liberté vécue (Vous trouverez dans cet excellent article une analyse plus précise) 

Il reste une autre option de liberté : celle qui consiste à "partir de l'expérience et non plus des concepts " comme le propose Bergson. Le déterminisme comme le libre arbitre ont tendance à considérer l'acte comme déjà fait et non en train de se faire : pour le déterministe, c'est rétrospectivement que toutes les causes m'apparaissent (souvenez-vous de l'ivrogne chez Spinoza). Pour le partisan de la liberté c'est rétrospectivement aussi que nous sommes persuadés que nous aurions pu agir autrement (souvenez-vous du remord), quant à l'angoisse elle est plutôt suspension de l'acte qu'acte véritable et c'est aussi rétrospectivement qu'apparaît l'image d'une "croisée des chemins". Lorsque je délibère j'alterne certes, d'une option à une autre, mais à chaque fois une maturation se fait, c'est pour cela que je décide lorsqu'une synthèse est devenue véritablement mienne.  « Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l’expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu’on trouve parfois entre l’œuvre et l’artiste » Bergson Données immédiates de la conscience TEXTE 10

 

Pour le comprendre nous pouvons revenir à cette question simple : à quel moment nous sentons-nous le plus libres ? Etrangement ce n'est pas, contrairement à ce que nous disions en première partie, lorsque nous exerçons notre pouvoir sur autrui, mais lorsque nous sentons, à des degrés divers, soit qu'un acte est véritablement nôtre, qu'il synthétise ce que nous sommes « notre idée personnelle du bonheur et de l’honneur », soit qu'il exprime notre puissance créatrice sur ce monde. Un artiste le comprend mieux, mais nous y avons accès de façon parfois anodine, dans le sport par exemple où on use des mécanismes pour produire de la nouveauté.  L'acte vraiment libre, au-delà des décisions, serait celui où l'individu se sentirait pleinement lui-même tout en se dépassant, c'est pourquoi comme le dit également Bergson il est aussi synonyme de joie, il aurait les caractéristiques de ce que Bergson considère comme une "raison d'être" :  « la création de soi par soi, l'agrandissement de la personnalité par un effort qui tire beaucoup de peu, quelque chose de rien, et ajoute sans cesse à ce qu'il y avait de richesse dans le monde  » Energie spirituelle

 

 

 

 

 

 

 

CONCLUSION

 

La liberté est donc certes la liberté physique, l'absence de contrainte extérieure, qui devient plurielle en fonction des contraintes dont on parvient à s'émanciper (liberté d'expression, d'aller et venir etc.).

Cependant cette indépendance n'est pas le seul aspect de la liberté : comme on peut être aliéné dans l'acte même qui paraît être l'expression de notre volonté (le " je fais ce que je veux "du drogué), on peut conserver une liberté dans l'incarcération par exemple.

La liberté consiste donc plus essentiellement dans une absence de détermination intérieure, dans une possible autodétermination.

Cette liberté exigée par la morale entre apparemment en contradiction avec la science qui elle exige l'attribution d'une cause à un effet.

Cependant une théorie de la connaissance considérant la causalité comme un des concepts par lesquels nous comprenons les choses, permet de concilier la connaissance de l'homme objet d'expérience et la possibilité pour l'homme en lui-même de penser une causalité libre.

L'acte moral semblerait confirmer cette possibilité puisque l'homme aurait la faculté, par la raison, de s'interroger sur la possible universalité du principe à la base de son action et donc de se donner à lui-même sa propre loi, d'être autonome.

Mais la possibilité même de faire appel à la raison érige l'acte déraisonnable lui-même en acte libre (le remord indique le regret de ne pas avoir réfléchi, donc de librement ne pas avoir fait appel à la raison). De plus l'inefficacité même de cet appel pour déterminer une option et éviter l'angoisse du choix semble nous condamner à une liberté constante qu'il nous reste à assumer dans sa radicalité.

A moins, qu'au-delà des décisions nous ayons la possibilité de considérer une autre occurrence de l'acte libre, non pas dans un choix déterminé ou non, mais dans une spontanéité créatrice.