LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE

 

 

 

INTRO:

 

La connaissance scientifique s'est énoncée au fil du temps comme un modèle de connaissance, plus valide que tout autre : révélation, autorité de la tradition, ancienneté de la considération. Cette élection peut susciter un certain nombre d'interrogations: 

 

On pourrait se demander comment nous connaissons scientifiquement, quelles sont les conditions de possibilité d'une telle connaissance, quelles facultés en nous mobilise-t-elle ? Cette connaissance consiste-t-elle dans le fait de constater, de faire un certain nombre d'observation et tenter de les expliquer ensuite, ou bien est-elle d'abord une recherche théorique ? S'il est très difficile de le déterminer, on peut chercher à considérer la façon dont les sciences progressent, non seulement dans la quête de leurs résultats mais également dans la compréhension d'elles-mêmes cette recherche nous permettrait alors de mieux comprendre la spécificité de la connaissance scientifique et quels obstacles elle peut rencontrer. 

 

 

 

I SCIENCE PURE ET SCIENCE APPLIQUEE

 

A)    Le modèle mathématique

Les mathématique représentent la modélisation majeure pour pratiquement tout énoncé scientifique. Et les mathématiques ont même représenté un modèle de vérité. Descartes en parle ainsi à Mersenne : "les vérités mathématiques, lesquelles vous nommez éternelles, ont été établies par Dieu " (15 avril 1630). En effet les mathématiques ont comme avantage sur toute autre production de l’esprit d’avoir un langage univoque et d’être consensuelles.

Leur force tient à la puissance de leur déduction, à la capacité qu’elles offre de déduire un très grand nombre de choses d’un petit nombre de postulats ou d’axiomes. La philosophie procède souvent de la même façon (et parfois ce sont les mêmes, comme Descartes, qui applique une logique identique pour ses découvertes mathématiques et ses recherches philosophiques) mais sans obtenir le même consensus, parce que les mathématiques justement partent d’évidences.

 

B)    Le problème de l’évidence

 

La vérité en mathématique dépend de la vérité de ses propositions premières ou axiomes.

Exemple : Par 2 points ne passent qu'une seule droite.

Seulement cette évidence est postulée,, non vérifiée.

On a tenté de démontrer logiquement la validité des postulats mathématique: Un postulat différent amènera un système aberrant, Un système géométrique construit sur d'autres postulat que ceux d'Euclide sera obligatoirement absurde si les postulats sont vrais.: démonstration par l'absurde

Or résultat contraire: Lobatchévski a abouti à un système parfaitement cohérent.

Par exemple la géométrie classique postule que si l'on a un point x et une droit A on une seule droite B // à A passant par x.

Dans le système qui postule un tel axiome on peut déduire que la somme des angles d'un triangle est égale à deux droits.

Cependant dans un système qui postule que par le point x passe plusieurs // à A on pourrait déduire un théorème selon lequel la somme des angles d'un triangle rectangle est inférieure à 2 droits. D'ailleurs nous avons des géométries où la somme des angles est inférieures à deux droits, les hyperboliques, et d'autres où elles sont supérieures, les elliptiques. Ces dernières sont d'ailleurs utilisées pour modéliser une géométrie à la surface de la terre, comme on le voit sur ce schéma

ces théorèmes contradictoires ne sont pas l'un vrai et l'autre faux, ils ne s'excluent que dans des systèmes différents.

Dans La science et l'hypothèse le mathématicien Henri Poincaré considère que nos axiomes géométrique sont "de pures conventions" car si ce n'était pas le cas "il n'y aurait pas de géométrie non euclidienne"

 CONCLUSION.

Les axiomes ne sont donc pas des vérités premières mais un corps de conventions indémontrables. la notion de vérité comme l'accord de l'esprit avec des objets extérieurs est abandonné au profit de la seule validité qui sanctionne un lien hypothético déductif entre des axiomes indémontrables et des conclusions ou théorèmes, ou comme le dit Alain « l’accord de l’esprit avec lui-même ».

 

C) Comment expliquer l’efficacité des mathématiques ?

 La validité des maths repose sur la seule validité de ses liens. Donc sur des normes internes à l'esprit humain. L'accord des maths avec la réalité sensible ( pas systématique cf. géométrie non Euclidienne ) ne décrit que l'application possible des mathématique, non leur vérité.

Il n'y a pas de hiérarchie entre des systèmes de géométrie appliquée et de géométrie théorique.

- Question: Dans ce cas comment se fait-il que les mathématiques soient aussi efficaces dans notre représentation du réel ? Qu'un théorème géométrique puisse par exemple servir à mesurer un champ?

REPONSE: Parce que les maths construisent leur objet dans l'espace et le temps, l'intuition pure c'est à dire dans la structure mentale par laquelle nous percevons le monde.

Les maths disposent de la forme a priori de la sensibilité:

Par l'imagination je peux construire un triangle en représentant l'objet qui correspond à ce concept.

Il existe donc bien une forme de toute expérience dans laquelle les maths peuvent se représenter leurs objets et les conclusion établies sur ces objets seront susceptibles d'applications pratiques puisque c'est a travers la forme dans laquelle nous construisons les objets mathématiques que nous percevons la réalité. Kant dit du mathématicien qu’  « il lui fallait produire cette figure par l’intermédiaire de ce qu’il y pensait et présentait lui-même a priori d’après des concepts » Critique de la raison pure, préface de la seconde édition  Cependant la validité d'une telle entreprise reste limitée à la structure perceptive de l'esprit humain. Pour ceux qui veulent en savoir plus sur la modernité de cette structure, je recommande ce très bon article sur Kant et la neurologie La validité des maths est universelle, elle n'est pas absolue.

 

Cela nous apprend également que dans toute démarche scientifique l’esprit humain est intervenant il constitue son objet, et que ses découvertes sont dans une grande mesure des comme le dit Einstein, des créations de l’esprit humain. Kant note d’ailleurs que c’est cette compréhension qui a permis aux physiciens de construire leur science : ils comprirent que la raison ne voit que ce qu’elle produit elle-même selon son projet, qu’elle devrait prendre les devants avec les principes qui régissent ses jugements d’après des lois constantes, et forcer la nature à répondre à ses questions, ibid.

 

C’est cette application, cette démarche scientifique qu’il faut désormais envisager :

 

II/  LA DEMARCHE SCIENTIFQUE 

 

 

A)    La possible primauté du fait

 

 1/ Spécificité du fait scientifique.

On peut considérer une application de la conception classique du fait : la science énonce des faits, la terre sphérique, la vitesse de la lumière est de 299 792 458 km/s, les espèces évoluent etc. Mais cette conception elle-même montre que les faits scientifiques sont tout sauf intuitifs, et leur genèse intervient souvent dans la confrontation avec une conception ou une théorie antérieure.

  - Le fait est construit

 Un fait n'est pas d'abord donné comme scientifique, il est construit à l'intérieur d'une opération spécifique où il suppose un intérêt et une connaissance théorique : « un esprit naïf n'observe rien », dit Bachelard Le regard scientifique n'est jamais un regard neutre. « L'observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèse antérieure » Bachelard

 

 - C’est ce qui distingue d’ailleurs la connaissance scientifique du simple savoir : L’expérience scientifique intègre le fait dans une théorie, dans une structure intellectuelle capable de le comprendre. Par exemple, « quand on s'attend qu'il y aura jour demain, on agit en empirique, parce que cela s'est toujours fait ainsi jusqu'ici. Il n'y a que l'astronome qui le juge par raison. » Leibniz, Monadologie (1714), § 28. 

 Par exemple le seul fait de collectionner des plantes ou des animaux n'enseigne pas, il faut les inscrire dans un ordre (phylogénétique en l'occurrence) "une expérience vague n'est qu'un simple tâtonnement qui paralyse les hommes plus qu'il ne les informe " F. Bacon Novum organum aphorisme 100  (1620)

 

 - Ce qui s'observe: un problème

  Pas un simple fait, un fait qui entre en contradiction avec ce qui est admis comme système du monde.

 - Exemple C. Bernard  Introduction à la médecine expérimentale :

  Cl. Bernard est frappé d’observer que " le sang de tous les animaux contient du sucre, même quand ils n’en mangent pas ". En effet, ceci contredit la théorie alors admise, selon laquelle le sucre provient des aliments et est brûlé par la respiration dans les poumons. Cl. Bernard abandonnera donc cette théorie. Il fît l'hypothèse de l’existence d’un organe régulant le sucre dans l’organisme. Il parvînt finalement à identifier la fonction glycogénique du foie (production de glycogène, forme dérivée de sucre), après de nombreuses expériences.

 

 - Autre exemple : Lavoisier fait brûler un morceau de plomb et constate que le résidu de plomb appelé "chaux de plomb " a augmenté de poids. Or on pensait que dans la combustion, une substance, le phlogistique, s'échappait, qu'une substance était le composé d'une chaux et d'un phlogistique et donc que lorsqu’un corps brûlait il ne restait que la chaux. Impossible : si l'on enlève quelque chose le poids ne peut augmenter. 

Il y a donc toujours dans un fait scientifique une contradiction entre une théorie généralement admise et un fait nouveau

   

CONCLUSION: Il y a à la fois, dans la découverte scientifique:

 - Un détachement du regard scientifique, une objectivité qui permet d'observer le fait (un touriste ne va pas regarder un clair de lune de la même façon qu'un physicien)

 - 1 savoir théorique qui permet de comprendre l'importance du fait observé, ce avec quoi il est en contradiction, en quoi il pose un problème.

 Remarque: Plus on progresse dans les possibilités d'observation et les techniques de mesure, plus les faits polémiques ne se révèlent: Le Verrier en 1846 n'aurait pas observé de problème dans l'orbite décrite par Uranus s'il n'avait possédé les méthodes de calcul de Newton. Sans cette technique il n'aurait pas vu de problème entre l'orbite théorique et l'orbite réelle d'Uranus, il n'aurait pas découvert Neptune.

 - Le fait peut être polémique ou non.

  Un fait polémique est un fait que l'on ne peut expliquer par une théorie ancienne mais pour lequel on a besoin d'une nouvelle théorie. La découverte de Le Verrier n'est pas un fait polémique, celle de Lavoisier si. 

 

2/ Fait comme point de départ.

 Thèse de Bernard : Interrogation sur sa discipline. 

Constatation du fait : Nécessite un savoir, une connaissance pour observer la contradiction entre ces faits et le système du monde admis antérieurement. C'est ce que Bachelard appelle un fait polémique.

 - Hypothèse: 1 idée naît dans son esprit, une explication du fait susceptible de résoudre la contradiction.

 L'hypothèse ne consiste pas à découvrir une cause que les faits présenteraient par leur seuls enchaînements, la cause est d'abord cachée et avant de la découvrir il faut l'imaginer: par l'hypothèse le donné est dépassé vers des faits possibles dans un contexte de relations intelligibles. Dans le cas de la physique, il faut soit supposer que le calcul est perturbé, soit que la loi est à changer:

 Par exemple lorsque Le Verrier fait l'hypothèse d'une planète inconnue dont l'existence expliquerait les perturbations d'Uranus. Ainsi ces mouvements deviennent intelligibles. Plus tard l'observation de Neptune confirmera cette hypothèse. En revanche les variations dans l'orbite de Mercure n'ont pu être expliquées que par une référence à la théorie de la relativité.

  L'explication scientifique ne simplifie donc pas le donné, il l'enrichit de faits possibles : «  l'univers de l'expérience immédiate contient non pas plus que ce qui est requis par la science mais moins. " Brunschvicg l'expérience humaine et la causalité physique.

 

 L'hypothèse n'est donc pas une conjecture mais une explication intelligible, elle relève de l'imagination rationnelle. Elle est un effort pour comprendre, pour poser tous les faits dans un système.

  - L’Expérience : Le savant raisonne à partir de cette idée, institue une expérience = réalise artificiellement le fait observé initialement, imagine les conditions matérielles qui vont, si l'expérience est bien faite, infirmer ou confirmer l'hypothèse. Déjà au XVIIème siècle Bacon proposait une expérience cruciale qui pourrait départager deux théories opposées. Toute expérience a besoin d'un protocole expérimental, c'est à dire de conditions dans laquelle une expérience va être considérée comme valide. 

- Loi scientifique : Généralisation du fait.  Ce schéma est toujours valable mais il est remis en question par la science contemporaine :

  

 

B) La prédominance théorique

 

1) Le recours aux expériences de pensée.

La science ne procède pas toujours de cette façon, il est fréquent qu’elle recoure à des expériences de pensée. C'est par de simples raisonnements par exemple que Galilée a conclu que les corps tombaient tous à la même vitesse dans le vide, non par induction à partir d'une observation  Selon la loi d'Aristote, l'ensemble du corps lourd et du corps léger attachés doit tomber avant le corps lourd seul puisqu’il est plus lourd. Cependant, d’après cette même loi, le corps lourd attaché au corps léger doit être freiné par ce corps léger (qui tend à tomber moins vite), donc tomber après le corps lourd seul. La loi d’Aristote prédit donc une chose et son contraire.  Mais même dans les cas de connaissance expérimentale, la théorie intervient. 

 

2) Sa nécessité pour l'observation d'un fait.

 Pour parvenir à découvrir un fait il ne faut pas seulement une connaissance qui permette de reconnaître le fait objectif, il faut une théorie dans laquelle ce fait va pouvoir s'intégrer:

Lorsque Claude Bernard remarque un problème dans l'urine du Lapin il avait déjà la théorie de la classification animale

 Lorsque Torricelli constate que l'eau dans des pompes vides ne monte pas au-dessus de 10,33m il ne constate pas la pression atmosphérique: cette hypothèse est au contraire la condition nécessaire pour une observation du fait.

Ce qu'on observe ne devient intéressant que dans la mesure où ce que l'on se permet de supposer qu'il y a quelque chose à comprendre.

Plus flagrant encore en microphysique où toute observation est obligatoirement construite, c’est pour cela que nous pouvons dire avec Bachelard « une science a l’âge de ses instruments ». 

 

 

3) L'expérience comme réalisation de la théorie

 C'est la théorie qui engendre une expérience ou plutôt une expérimentation qui a pour rôle de réaliser la théorie et de faire apparaître le phénomène. " La théorie commande le travail expérimental de sa conception aux derniers maniements en laboratoire. " Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, 1973, p. 107.

  Le réel scientifique est construit, il ne donne pas la nature même de ce qu'il observe. On doit abandonner le stéréotype du savant qui découvre des théories.

 On retrouve souvent dans l'expérience ce qu'on y a mis. Il faut déjà une conception théorique alternative pour concevoir un fait qui pourrait remettre en question ce que Kuhn appelle le paradigme antérieur. On peut prendre l'exemple du Bozon de Higgs, mis en évidence grâce au LHC (Large Hadrons collisionner), dont la recherche a été motivée par une contradiction entre le modèle physique standard, (qui décrit les interactions entre les particules) et certaines données observées : il fallait supposer une particule élémentaire d'une masse d'environ 125 GeV  pour expliquer que certaines particules ont une masse et d'autres non. 

 

On peut également espérer que dans l'avenir, une construction théorique nouvelle pourra permettre de faire la synthèse entre deux grandes théories aux résultats incompatibles : la théorie de la relativité qui met en équation les forces gravitationnelles, et la mécanique quantique qui met en équation les forces électromagnétiques et nucléaires.  Bref l'une décrit le macrocosme, l'autre le microcosme, mais il faudrait pouvoir éprouver une théorie de la gravitation quantique (vous pouvez le comprendre avec cette belle vidéo de l'astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau

Le fait n'est donc pas premier il est une construction expérimentale de la théorie.  

Il ne s'agit pas donc en Sciences de prendre en compte une réalité par rapport à laquelle on serait inactif, neutre, le scientifique reste un sujet dans l'opération de compréhension. 

  

 

C) L'impossible détermination hiérarchique entre expérience et théorie

Certains progrès théoriques ont été élaborés dans une démarche presque strictement intellectuelle, c'est le cas de la théorie de la relativité qui n'a attendu qu'une vérification expérimentale. En revanche des découvertes médicales, la découverte d'un ADN par Watson et Crick en1953, est en premier lieu expérimental (Bien que Schrodinger l'ait décrit intellectuellement avant qu'on ne le découvre). De même en biologie moléculaire, on procède désormais souvent à l'aide d'une modélisation informatique. Pour comprendre par exemple quels gènes sont impliqués pour la division cellulaire, on donne un ensemble de datas (images de division, structure d'adn etc.) et on laisse l'ordinateur fournir un modèle que l'on testera ultérieurement. (Pour les curieux voir cette conférence du CNRS)

Mais dans la plupart des cas, il y a une allé et venue entre la théorie et l'expérience : la théorie s'affine en fonction des expériences et on réalise des expériences pour infirmer ou confirmer des théories. 

"Parfois de nouvelles assertions observationnelles sont justifiées à l'aide de nouvelles assertions théoriques et vice versa" H.Putnam : Ce que les théories ne sont pas.

  

 

II) LE PROGRES SCIENTIFIQUE

 

   

A) L'avènement d'une scientificité : 

 

La connaissance scientifique advient lentement à partir d’une remise en question des croyances, des préjugés et de leurs justifications.

 Toute croyance cherche des justifications ou des preuves, dans des témoignages de miracles, la parole de gourous etc.

 Au contraire la science va être un renoncement à ces justifications : « aucun énoncé n’est justifié par une démonstration, la démonstration se suffit en elle-même », dit Francis Wolff de même ce n’est pas une expérience qui peut justifier un énoncé mais la reproductibilité de cette expérience.

 Voilà qui oppose au savoir et à la croyance : un savoir va chercher à se justifier pour convaincre de sa croyance, la science considère avant tout des procédures. « La science se définit par des procédures universelles, elle ne cherche pas à faire partager des croyances, mais à abolir toute croyances » Francis Wolff, plaidoyer pour l’universel.

 Voilà pourquoi la science a dû déjà, pour s’imposer comme mode de connaissance, rejeter l’autorité de toute vérité institutionnelle, d’où son conflit avec les différentes autorités, l’église entre autres.

 Contrairement aux croyances, toujours subjectives, la science peut se définir comme « la quête indéfinie de l’objectivité absolue » Wolff, Ibid.

 On peut donc dire que l’esprit scientifique advient lorsqu’est possible la mise en cause des autres représentations du monde, religieuses, mythiques etc. Par exemple la croyance en la fixité des espèces n’était pas scientifique, elle était juste un préjugé issu d’une forme de « théologie naturelle ».

 


 B) Passage du scientisme au réfutationisme

 

1) Une meilleure compréhension de la science par elle-même

Mais l’esprit scientifique a dû également s’imposer par un doute épistémologique, un doute sur lui-même, sur le statut de la science.

 Le scientisme est la croyance dans le fait que la science puisse donner « la vérité » du monde (cf. le cours sur la religion et Newton)

 Nous n’avons plus une conception scientiste de la découverte scientifique, il n’y a plus de croyance en la possibilité pour la science de donner la vérité du monde (cf. texte d’Einstein)

 

2) La prise en compte d'un réel plus complet

Toutes les théories sont provisoires dans la mesure où elles sont des modèles permettant d'expliquer un certain nombre d'expérience. Mais bien sûr, leur validité est de plus en plus grande. La relativité générale, établie en 1915 reste valable, elle est résistante. 

 " Une théorie n'est pas une explication. C'est un système de propositions mathématiques, déduites d'un petit nombre de principes, qui ont pour but de représenter aussi simplement, aussi complètement et aussi exactement que possible, un ensemble de lois expérimentales. "  DUHEM: La théorie physique, son objet et sa structure

Une théorie est abandonnée s'il se présente un fait polémique qui ne peut pas être expliqué par la théorie antérieure:

  - En ce sens par exemple la découverte de Le Verrier n'est pas révolutionnaire: la résolution du fait polémique se fera sans remettre en cause le paradigme de l'attraction universelle.

  - Par contre la découverte de Lavoisier est, elle, révolutionnaire car elle remet en cause le paradigme antérieur du phlogistique.

  Il y a cependant plusieurs façons de considérer l'abandon d'une théorie :

 - Ou elle est abandonnée comme fausse: parce qu'elle rend compte de façon illusoire de la réalité (c’est le cas de la théorie du phlogistique ou de la génération spontanée à l'époque de Pasteur)

  - Ou elle est abandonnée comme incomplète, moins féconde qu'une autre (mais pas complètement invalide): La théorie de l'attraction universelle ne permet d'expliquer, d'unir la chute des corps sur la terre au mouvement des corps célestes que lorsque les mouvements considérés sont très éloignées de la vitesse de la lumière, pour des vitesses proches de la vitesse de la lumière il faudra une remise en question des équations Newtoniennes. 

Exemple plus précis : l'addition des vitesses, principe Galiléo Newtonien permet de calculer approximativement des vitesses réduites. Pour des vitesses élevées ce principe est faux : si un homme allume une lampe torche dans un train roulant  à 100 km/h le rayon lumineux n'ira pas à la vitesse de la lumière + 100kmh parce que la vitesse de la lumière est une constante en mécanique relativiste] « Des événements qui sont simultanés par rapport à la voie ferrée ne sont pas simultanés par rapport au train et inversement (relativité de la simultanéité) » Einstein 

Pour les curieux (de spécialité math ou physique)  vous pouvez consulter l'équation simplifiée (et même la démonstration non simplifiée)  

 

3) Les théories ne sont pas définitives, même si elles sont valides. 

Une théorie scientifique est donc toujours provisoire parce qu'elle peut toujours rencontrer des faits inédits qui vont la remettre en question et permettre le progrès dans une compréhension de cette partie du réel qu'est la matière.

 Une autre conception également de la vérité et de la fausseté ce que signifie faux ce n'est pas que la théorie présente une explication contraire à la nature du réel, c'est simplement qu'elle est en contradiction avec des lois expérimentales.

  - Cependant, la possibilité pour une théorie d’être fausse n’en fait pas une théorie non rigoureuse : Elle représente la meilleure façon de comprendre le monde tel que nous pouvons l’expérimenter à une époque donnée.  Par exemple  la théorie ondulatoire de la lumière démontrée au XIXème siècle par Foucault  n'est pas fausse (L'expérience de Feynman  le confirme, la lumière projeté dans une double fente donne des interférences), elle est juste incomplète parce qu'elle ne peut expliquer qu'un corps libère des électrons en fonction de la fréquence lumineuse (phénomène photo électrique) En effet l'intensité n'augmente pas l'énergie cinétique de l'électron (seulement leur nombre) seule la fréquence le fait et explique qu'il soit éjecté. Seule la conception de Einstein de la lumière comme des quanta (photons) peut l'expliquer. Donc la lumière est bien une onde mais elle est aussi un corps. 

On peut aussi montrer (comme on l'a vu) que la relativité n'est pas complète parce qu'elle ne permet pas de penser le micro physique (elle reste cependant étonnamment précise pour de phénomène que Einstein ne pouvait connaître, les trous noirs etc.)

 

 - De plus les sciences qui, elles, ne peuvent jamais être fausse, sont suspectes d’échapper ainsi à la critique possible (cf. la psychanalyse) et de rester closes dans leur univers. " Les théories ne sont jamais vérifiables empiriquement (…) c'est la falsifiabilité (la réfutabilité) et non la vérification d'un système qu'il faut prendre comme critère de démarcation " Popper 

 

Attention, ce "relativisme" ne concerne pas les faits (au sens courant du terme, c'est à dire des résultats expérimentaux constatables). Par exemple la terre tourne, elle est ronde, les espèces évoluent, ce sont des faits. (Dès les années 1930, Philippe L’Héritier et Georges Teissier ont vérifié l’évolution biologique expérimentalement en maintenant des populations de 3 000 à 4 000 petites mouches du vinaigre dans des cages et en les soumettant à certaines contraintes de nourriture)  Justement un des subterfuges employé par des pseudo scientifiques malhonnêtes ou incompétents consiste à faire passer des faits pour des théories. Les "créationnistes" parlent volontiers de "la théorie de l'évolution" . Le scientifique ne peut ni ne doit se tenir complètement éloigné d'un idéal de vérité, même s'il sait qu'il y a d'autres registre de vérité que le scientifique et si la vérité n'est jamais "complète". 

 

 

 

IV/ LES CRITERES DE SCIENTIFICITE 

 

 

A) Les principes généraux

 

- La falsifiabilité

- La reproductibilité de l'expérience

- La prédictibilité

- L'économie théorique (principe de parcimonie)

- La validation par les pairs.

Dans la science moderne, il arrive trop fréquemment que des individus veuillent capter l'autorité que confère le caractère scientifique d'un contenu, à des fins politiques, il est donc essentiel de délimiter les bornes strictes de la scientificité

 La falsifiabilité constitue un critère négatif de scientificité. Le critère positif résiderait davantage dans la reproductibilité des expériences. Il faut que lorsque des résultats sont affirmés par une équipe de recherche, d'autres équipes par le  monde puissent reproduire ces recherches (évaluation par les pairs ou peer review). C'est en cela que l'on peut avoir confiance dans la science. Il faut certes éviter le scientisme béat, mais aussi le scepticisme inadéquat : nous n'avons pas les moyens de connaitre par nous mêmes, mais nous pouvons avoir une confiance raisonnable dans des contenus scientifiques amplement testés et validés par une communauté scientifique dont la diversité idéologique même garantit l'impartialité. 

  Guillaume Lecointre dans La science face aux créationnismes établit 4 piliers de ce que Bourdieu nomme la partie théorique du contrat scientifique :" Quelle que soit la discipline scientifique, la démarche scientifique est donc, par contrat, sceptique sur les faits, réaliste en principe, matérialiste en méthode, et logique".

  

 

B) Le contrat scientifique

 

1) Le scepticisme initial sur les faits:

 Toute idée, toute intuition spécifique doit être mise à l'épreuve de tout ce qui pourrait la contredire, elle doit montrer sa résistance à toute objection.

 2) Le réalisme de principe

 Le scientifique pose que le monde existe indépendamment et antérieurement à la perception que j'en ai. La meilleure récompense d'un chercheur est de voir ses résultats corroborés par une équipe indépendante.

 3) Matérialisme méthodologique

 Tout ce qui est expérimentable dans ce monde est matériel ou d'origine matériel. Attention il faut distinguer matérialisme scientifique et matérialisme philosophique. Le premier est méthodologique, il ne s'agit pas d'affirmer par exemple, que tout ce qui est psychologique est d'origine neuronale, un neurologue affirmera simplement chercher une corrélation entre telle aptitude (le langage) et telle partie du cerveau. Il n'affirmera rien sur "l'esprit" sans rompre avec le contrat scientifique. Encore plus vrai en biologie : la réponse à la question pourquoi un papillon qui vit sur un bouleau blanc est-il blanc, peut recevoir une réponse neutre (autre que finaliste) dans le cadre de la sélection naturelle, ne signifie pas que c’est l’explication dernière. 

4) La rationalité

 Respecter les règles de la logique et le principe de parcimonie. En ce qui concerne la logique, toute théorie qui comporte des contradictions internes pourra être invalidée. Le principe de parcimonie correspond à une économie théorique : moins la théorie a besoin d'hypothèses, meilleure elle est.

 

 

C Les obstacles épistémologiques

 

 C'est le nom que Bachelard donne aux intuitions premières qui font barrage à l'expérimentation véritable ( l'air ne pèse rien, le soleil tourne, le bâton flotte etc.). Il en existe de plus dangereuses.

 Il y eut dans l'histoire de nombreuses tentatives pour s'accaparer l'autorité scientifique à des fins idéologique, la neutralité axiologique et politique de la science doit être rappelée. On ne peut énumérer toutes les stratégies mais il s'agit toujours de donner le nom de science à des pseudo-théories qui sont au service de courants de pensée idéologiquement connotés.  

   - La fraude simple :

Arun Yahya, ou bien les falsifications historiques nazies (le protocole des sages de Sion), les  élucubrations réciproques des sociobiologistes Anglo saxons et Allemands, et celles des soviétiques (Lyssenko considérait que le gène était une supercherie bourgeoise)

 

- Le déplacement du périmètre de scientificité

Le recours à des agents non démontrables et non identifiables (intelligent design). Le fait qu'une théorie présente une plus grande valeur explicative n'en fait pas une théorie scientifique. Cf. Laplace "L'hypothèse de Dieu explique tout, elle ne prédit rien". En science toute modalité d'action d'une cause doit être expérimentée. Dieu n'est certes pas objet d'expérience.

 - La cooptation de scientifiques sans connaissances épistémologiques

Il est fréquent de faire appel à des "prix Nobel" pour valider la scientificité d'une démarche. C'est un argument d'autorité déjà employé par les partisans du spiritisme. Le prix Nobel valide des résultats, pas la qualité épistémologique des chercheurs, la réflexion sur leurs pratiques.

 L'enjeu d'une délimitation claire des limites de la scientificité est capitale sur le plan éducatif : de nombreuses tentatives ont été faites pour introduire des pseudo théories dans les programmes scolaires aux Etats Unis : la pseudo théorie du dessin intelligent a failli passer dans les programmes scolaires américains. Seul le 1er amendement les protège encore d'une dégradation de leur enseignement scientifique en prosélytisme religieux  En Turquie, plus rien ne protège l'enseignement scientifique de sa confusion avec les représentations métaphoriques religieuses. 

 

- La fabrique de l'ignorance et l'agnotologie. L'historien des sciences Robert Proctor a proposé un nouveau champ d'étude pour considérer l'ignorance non plus comme un défaut de connaissance mais comme une production à des fins souvent mercantiles. La stratégie pour contrer les critiques scientifiques de certains produits industriels a changé. Il ne s'agit plus de faire de la fausse science et d'espérer noyer la vérité dans une masse de controverses sur des points de détails (c'est le programme des néo créationnistes par exemple).  Il s'agit de produire de la bonne science, par des moyens financiers importants, mais de diluer ainsi les constats qui pourraient gêner les lobbys industriels. On retourne ainsi la science contre elle-même, on se sert du doute qui est un élément central de la recherche pour noyer une causalité manifeste dans un grand nombre de causalités adverses. Bien entendu l'immense masse de capitaux privés finance cette logique. L'exemple le plus frappant est le système mis en place par les industriels du tabac à partir de 1950 pour contrer les études montrant sa nocivité. La stratégie consistait à financer de bonnes recherches sur toutes les autres causes possibles du cancer. Tout comme les producteurs de sucre vont financer des recherches concernant l'influence de la sédentarité sur l'obésité.  Cette stratégie a permis, dans de nombreux cas, de retarder de plusieurs décennies les mesures gouvernementales pour traiter un problème de santé publique, et d'accumuler des profits considérables au détriment des individus. 

 

- L'abus de scepticisme ou de relativisme

Le philosophe Bernard Williams dans Vérité et véracité (2006) s'inquiète de la confiance sociale dans la validité scientifique et de la généralisation d'une suspicion. Les individus veulent ne pas être trompés, il veulent la véracité, (ce qui est une forme de respect de l'idéal de vérité) Mais dans un même temps cela les conduit à douter de toute prétention à des contenus plus vraie que d'autres et parfois même à verser dans des théories du complot beaucoup plus éloignées d la vérité que les productions scientifiques. 

 

  

Conclusion

 

La connaissance scientifique ne se propose donc pas de découvrir, par l’expérience, des lois qui seraient dans le monde, de façon objective.

 Les théories scientifiques sont des constructions mathématiques qui tentent de donner une interprétation d’un ensemble de réalités expérimentales. Il s’agit donc d’un rapport entre une réalité inconnaissable et un sujet doué d’un certain pouvoir de connaître, qui est aussi la limite de sa capacité à connaître.

 Les théories ne sont donc jamais définitivement vraies, elles ne sont cependant plus complètement infirmées, il se trouve simplement d’autres théories qui rendent mieux, compte d’un ensemble de données expérimentales. Le progrès scientifique s’effectue davantage désormais par extension de la pertinence théorique que par un rejet total du paradigme antérieur.

 Il reste que les obstacles épistémologiques au progrès scientifique demeurent pour certains, et que d’autres émergent, comme l’exigence sociale d’une contribution des sciences au progrès technique.

 

 

  

P.S Pour les esprits curieux de science, pourvus ou non de l'outil mathématique, allez voir ce site :

 

 

 

https://sciencetonnante.wordpress.com/